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Londres, un monde à part ?

« En 1987, 31 personnes ont trouvé la mort dans l’incendie de King’s Cross, une station de métro délabrée. Des escalators en bois, dont la course grinçante se déroulait sur un tapis de graisse inflammable et de détritus, avaient permis au feu de se propager à une vitesse terrible. Aujourd’hui, faire comprendre à un jeune Londonien que ce quartier de la ville était à l’époque mondialement connu pour son côté insalubre relève presque de l’impossible. La gare de Saint Pancras est rutilante, son terminal international grouille de passagers de l’Eurostar à destination de Paris. Google, The Guardian et Central Saint Martins College ont remplacé les taudis. King’s Cross est désormais un symbole de la transformation de Londres, devenu la ville mondiale, et pas seulement une ville mondiale.
Mais c’est aussi un symbole du fait que Londres s’est coupé du reste de la Grande-Bretagne. A King’s Cross ou Saint Pancras, on peut prendre un train pour des coins déshérités du nord de l’Angleterre ou des Midlands qui n’ont pas réussi à se relever de la désindustrialisation – et ce n’est pas faute d’avoir essayé. En revanche, Londres a le don exaspérant de faire de ses quartiers, même les plus misérables, des lieux où l’on a envie de vivre et de travailler. Entre 2010 et 2013, il y avait plus de grues à l’œuvre dans la capitale que dans tout le reste de la Grande-Bretagne.
Il n’y a pas que l’architecture qui évoque un royaume désuni, les données économiques aussi. En 2012, la valeur ajoutée brute par habitants atteignait à Londres 175 % de la moyenne britannique. Même la crise financière, la pire depuis la Seconde Guerre mondiale, n’a pas stoppé la croissance de Londres. Elle était de 12,5 % entre 2007 et 2011, soit plus de deux fois la croissance moyenne du Royaume-Uni. […]
Sur le plan culturel aussi, cela fait longtemps que Londres s’est détaché du pays qui l’accueille. Ce n’est pas seulement, et de loin, la ville la plus métissée de Grande-Bretagne : c’est peut-être aussi la plus métissée du monde, voire la plus métissée de toute l’histoire. Plus d’un tiers de sa population est née à l’étranger contre 13 % en moyenne au Royaume-Uni. Dans la capitale, où l’on parle plus de 300 langues, les Britanniques blancs représentent une minorité. […]
Londres s’éloigne de la Grande-Bretagne, et certaines parties de la ville s’éloignent les unes des autres. L’espérance de vie est de 79 ans à King’s Cross, elle grimpe à 91 ans à Knightsbridge, et n’est que de 75 ans à Lewisham, dans le sud est de la ville. 97 % des habitants de Camden ont accès à Internet. Ils ne sont que 82 % à Barking et Dagenham, un arrondissement de l’est du Grand Londres. La capitale compte certains des quartiers les plus pauvres du Royaume-Uni, comme Hackney et Tower Hamlets. Vingt ans de croissance spectaculaire ont rendu la ville plus riche, mais pas plus égalitaire. Et même au sein de ces quartiers il existe des inégalités criantes. […]
Et la croissance a apporté les infrastructures. Le réseau de transports de Londres compte parmi les plus vastes au monde, et ne cesse d’explorer de nouvelles possibilités, par exemple Crossrail, la ligne de métro à grande vitesse, le plus grand projet de construction en Europe. Londres est une ville d’ultrarichesse et d’extrême pauvreté, mais on y trouve aussi des musées gratuits et des parcs publics uniques au monde.
Et pourtant on ne peut ignorer la double hostilité qu’elle suscite – de la part d’un pays dépassé et des romantiques intra-muros. Son statut de centre de la mondialisation ne saurait être menacé, mais une accumulation de mauvaises décisions stratégiques (ou de non-décisions) pourrait néanmoins l’éroder au fil du temps. Un travailleur étranger refoulé à Londres risque d’aller vendre ses talents à New York ou à Singapour. Si l’aéroport de Heathrow n’est pas autorisé à s’étendre, ceux d’Amsterdam et de Francfort sont bien placés pour devenir le centre du transport aérien en Europe. »

 

Janan GANESH (Financial Times) « Londres ou la mondialisation incarnée », Courrier International, 6 mai 2015

Les mutations de la place des femmes dans le monde professionnel

« Depuis toujours les femmes travaillent, cela, il faut le dire et le redire. Elles étaient agricultrices dans l’économie rurale. Au XIXe siècle, elles ont également travaillé comme nourrices, domestiques et ouvrières, mais le salariat était encore très peu développé, y compris dans l’industrie. Car ce qui a en réalité varié, ce sont les formes de leur travail, leur statut et leur visibilité. Ainsi, l’explosion du salariat à partir des années 1960 a rendu leur travail beaucoup plus visible. Nous avons en effet connu une féminisation très forte du marché du travail : au début des années 1960, les femmes ne représentaient que le tiers de la population active ; elles en constituent désormais la moitié. […]

De même, alors que le taux d’activité des femmes de 25 à 49 ans était de 40 %, il est désormais de 85 %. Mutation profonde, les femmes ne s’arrêtent plus de travailler quand elles ont des enfants. Il ne s’agit pas là seulement d’économie, c’est également une transformation sociale majeure. On a rencontré ces transformations partout en Europe, mais le processus a été particulièrement rapide et accentué en France. A partir des années 1960, la féminisation du salariat s’est faite au pas de charge. Et de façon continue : entamée au temps des Trente Glorieuses, c’est une lame de fond qui se poursuit encore actuellement. En ce début de XXIe siècle, les taux d’activité des femmes continuent de croître. […]

Outre la formidable avancée du salariat féminin, […] il faut rappeler la progression continue de leur niveau d’instruction. De même, la féminisation du salariat s’est aussi traduite par une diversification des secteurs investis par les femmes, et la mixité est en particulier plus forte, comme le montrent les travaux de Monique MERON, dans les jeunes générations […]. Surtout, nombre de métiers se sont féminisés sans se dévaloriser, c’est important de le rappeler. C’est le cas des professions de médecin, d’avocat, de journaliste…, autant d’exemples qui nous prouvent que le destin des métiers qui se féminisent n’est pas de se dévaluer. »

 

Margaret MARUANI (sociologue), « Depuis toujours les femmes travaillent », Alternatives économiques, hors-série « Pratique » n°51, septembre 2011

Stratégie et puissance du groupe danois A.P. Møller (Maersk)

« Le groupe danois A.P. Møller emploie plus de 110 000 salariés à travers 130 pays dans le monde. Avec un chiffre d’affaires de 60 milliards de $ en 2011, la firme danoise se classe, selon Fortune, au 144e rang des 500 premières firmes mondiales. Le fleuron du groupe est la compagnie maritime Maersk Line, premier armement* mondial pour les lignes conteneurisées depuis la fin des années 1990. Elle déploie aujourd’hui un réseau de lignes maritimes à l’échelle mondiale adossé à un très important réseau de terminaux à conteneurs à travers la société APM Terminals. En outre, les clients chargeurs peuvent aussi s’adresser à Damco, filiale logistique, afin d’organiser le transport de leurs marchandises de bout en bout et d’un point à l’autre de la planète.

En fait, l’histoire du groupe A.P. Møller se confond avec la mise en place très progressive d’un système verticalement et horizontalement intégré qui a permis de faire de Maersk Line le premier des global carriers mondiaux. Ce conglomérat maritime est le fruit d’une épopée scandinave menée de père en fils depuis la Révolution industrielle jusqu’à nos jours avec, pour reprendre la devise du groupe, une attention constante (With constant care) pour faire fructifier, développer et diversifier les affaires de la société. Les trois générations successives de dirigeants, Peter MAERSK MØLLER (1836-1927), Arnold Peter MØLLER (1876-1965) et Arnold MAERSK Mc-KINNEY MØLLER (1913-2012) n’ont eu de cesse de développer de nouvelles activités, principalement maritimes, en s’affranchissant immédiatement du marché national danois, trop étroit pour se projeter à l’échelle mondiale, tout en conservant un puissant ancrage national qui fait du groupe Møller une source de fierté pour les Danois mais aussi un des vecteurs majeurs de la vie politique et économique nationale. […]

Au début des années 2000, le réseau maritime de Maersk a atteint une forme de maturité et il n’a pas été fondamentalement modifié depuis […]. En 2005, le rachat de P&O Nedlloyd, alors second armement mondial, n’a fait que renforcer l’armature de l’ensemble du réseau.[…]

La mise en place des hubs et des lignes maritimes qui leur sont associées aboutit à une véritable régionalisation du monde par l’armement danois. Elle s’appuie bien évidemment sur la réalité économique de chacun des ensembles géographiques mais l’organisation de la desserte est propre à l’armement. Chaque hub articule plusieurs ensembles régionaux par la commutation des différents types de lignes. En Méditerranée, Gioia Tauro complète Algeciras en étant spécialisé dans la desserte intra-méditerranéenne. Tanjung Pelepas couvre l’Asie du Sud-Est mais étend ses ramifications vers le sous-continent indien et l’Australie/Nouvelle-Zélande. Salalah dessert les zones du Moyen-Orient, de l’Afrique orientale et de l’Océan Indien en jonction avec la route Europe-Asie orientale. Enfin, Miami aux États-Unis et Manzanillo à Panama organisent le réseau en Amérique.

Grâce à ces nombreux hubs, Maersk Line dessert des zones géographiques a priori très secondaires mais où l’armement se retrouve souvent en position mono/oligopolistique. Le marché de niche, comme celui de la Côte Ouest Afrique où Maersk est présent uniquement avec MSC et CMA-CGM, permet souvent des frets élevés par comparaison aux grandes routes Est-Ouest où la concurrence est la plus vive. Par le choix de ces hubs, Maersk a aussi été un armement innovateur. En effet, ceux-ci n’occupent pas une place importante dans la hiérarchie mondiale – ils pourraient même être qualifiés de secondaires – alors qu’ils jouent un rôle essentiel dans le réseau maritime de Maersk. Pourquoi cette recherche de « ports secondaires » ? Au sein de ces ports, Maersk est responsable de l’essentiel de l’activité maritime. En outre, les terminaux sont aussi contrôlés par le groupe Møller via sa filiale de manutention A.P. Møller Terminals. Le contrôle du chaînon portuaire est considéré comme fondamental pour maîtriser les coûts de l’ensemble de la chaîne de transport. Il est aussi source de profits. Pour bénéficier au maximum de ces deux aspects, rien ne vaut une stratégie d’indépendance. Et cette indépendance est plus facile à trouver ou à acquérir dans des ports relativement « modestes » que dans les plus grands ports mondiaux dominés par une importante autorité portuaire, visités par les plus grands armements mondiaux et où les terminaux sont exploités par des manutentionnaires puissants et indépendants. Lorsqu’il le peut, le groupe AP Møller cherche à détenir une position clé et dominante dans le port dont il souhaite faire un hub pour sécuriser ses opérations portuaires dans le long terme, y compris sans doute en ayant la capacité d’influencer la politique portuaire. […]

Lorsqu’il le peut, le groupe AP Møller cherche à détenir une position clé et dominante dans le port dont il souhaite faire un hub pour sécuriser ses opérations portuaires dans le long terme, y compris sans doute en ayant la capacité d’influencer la politique portuaire. Lorsque la concurrence portuaire n’existe pas, la puissance de Maersk permet de la créer, y compris contre les ports les plus puissants. En décembre 2000, Maersk a brutalement annoncé son départ du port de Singapour pour celui, voisin, de Tanjung Pelepas, remettant en cause la situation de quasi-monopole de Singapour comme hub de transbordement de l’Asie du Sud-Est et lui ôtant près de 2 millions [d’EVP] de trafic. En quelques mois, l’ensemble des lignes maritimes bascule d’un port à l’autre. Le trafic de Tanjung Pelepas est multiplié par 5 de 2000 à 2001, de 418000 à 2 millions d’EVP alors que dans le même temps, pour la première fois de son histoire, le trafic conteneur du port de Singapour recule en valeur absolue de 17 à 15,6 millions d’EVP. Pour renforcer sa présence en Asie orientale qui est de très loin à l’échelle mondiale le premier marché des conteneurs, A.P. Møller a acquis en 1993 l’armement de feedering MCC. Cette compagnie exploite 40 navires porte-conteneurs dont la taille va de 600 à 4000 EVP et propose plus de 30 lignes régulières. À partir du hub de Tanjung Pelepas, ils rayonnent vers les autres ports de l’Asie orientale, notamment ceux qui ne sont pas desservis par les très grands porte-conteneurs. La détention d’une telle filiale est aussi le moyen de contester un peu plus le monopole de Singapour qui contrôle les sociétés de feedering sur l’Asie du Sud-Est. »

*Entreprise de transport maritime.

 

Antoine FREMONT, « Portrait d’entreprise. A.P. Møller : leader mondial du transport maritime », Flux, 2012/2 (n° 88), p. 60-70

Les femmes en politique : le « retard français » (2014)

« A l’avant-garde des pays européens pour établir le suffrage universel masculin en 1848, la France fut un des derniers pays à reconnaître leurs droits politiques aux femmes, en avril 1944. A cette date, les Finlandaises bénéficiaient depuis trente-huit ans du droit de voter et d’être élues, les Allemandes depuis vingt-cinq ans, les femmes britanniques depuis seize ans […].
S’il a suffi d’une ordonnance pour donner le droit de vote aux femmes, l’exercice de leur droit d’être élues s’est révélé plus difficile. Durant les vingt premières années de la Ve République, de 1958 à 1978, les femmes sont moins de 4% à siéger à l’Assemblée nationale. Et moins de 6% jusqu’au milieu des années 1990. Aujourd’hui, seuls 27% des députés sont des femmes, ce qui place la France au 48e rang du palmarès mondial, derrière le Turkménistan.
Pour assurer l’égalité réelle de candidature, l’idée radicale de parité a fini par s’imposer en France, inscrite depuis 1999 dans la loi constitutionnelle : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. » […]
Quatorze ans après la réforme, la parité numérique est en passe d’être réalisée dans les assemblées élues au scrutin de liste, par exemple les conseils municipaux des villes de plus de 1 000 habitants (48 % d’élues en 2014). Mais la parité reste un objectif lointain dans les assemblées élues en totalité ou en partie au scrutin majoritaire (22 % d’élues au Sénat).
La réforme paritaire a aussi échoué sur l’obstacle de la hiérarchie des fonctions, qui reste très sexuée : en 2008, 86 % des maires étaient de sexe masculin. Les élections municipales de 2014 ont un peu changé les choses. La part de conseillères municipales est passée de 35 % à 40 % sur l’ensemble de la France – et à 48% pour les villes de 1 000 habitants et plus. En revanche, à peine plus de 17% de femmes ont été désignées têtes de liste (contre 16,5 % en 2008). Il revient toujours aux hommes d’occuper le sommet de la « pyramide » des pouvoirs. »

 

Frédéric JOIGNOT, « Citoyennes, le retard français », Le Monde, 19 avril 2014

Le dynamisme croissant de Shanghai

« Au début des années 1990, avec l’accession au pouvoir central de ses anciens maires JIANG Zemin et ZHU Rongji, Shanghai bénéficie de la volonté du gouvernement de reprendre la main face à l’essor des provinces méridionales : Shanghai est située au centre du littoral et au débouché de l’axe est-ouest du Yangzi, que la construction du barrage des Trois Gorges doit renforcer. Shanghai symbolise le renouveau des villes comme pôles de croissance dans le développement. Elle possède une bourse, développe des services aux entreprises, redistribue ses activités industrielles en périphérie, satellise les villes de sa région proche, et réarticule des réseaux d’échelles régionale et nationale.
La ville accueille dorénavant des courses de Formule 1 et a été le siège de l’Exposition universelle en 2010. Si Shanghai détruit ses anciens lilong* et expulse une large partie de ses populations en périphérie au profit de tours de bureaux ou d’appartements inaccessibles au plus grand nombre, une politique de secteurs préservés se met également en place, notamment dans l’ancienne concession française. La ville veut redevenir le centre de la mode et de lieux postmodernes, comme le quartier de Xin Tiandi, un ancien lilong* réhabilité. Le dynamisme shanghaïen s’exprime surtout avec le projet de la Nouvelle Zone de Pudong, à l’est du Huangpu. Face au Bund, la façade de la vieille ville, sont construits le quartier d’affaires de Lujiazui et ses célèbres réalisations architecturales : la Perle de l’Orient, la tour Jinmao, l’avenue du XXIe siècle. De nouvelles zones industrielles, ouvertes aux investissements étrangers, accueillent des industries de nouvelles technologies. Pudong dispose d’un aéroport international, relié au centre-ville par un train à suspension magnétique, et son port, Waigaoqiao, a été complété par un port en eau profonde plus au sud.
Le projet « One city, nine towns », lancé en 2000, porte sur l’ensemble du territoire municipal. Il entend favoriser une politique de villes nouvelles, véritables pôles multifonctionnels, accueillant des populations de la ville-centre, des populations très locales et des populations extérieures à la municipalité (migrants) ou étrangères. »

 

*Un lilong est un quartier fermé typique de Shanghai se composant de ruelles étroites contenant des maisons mitoyennes.

 

Thierry SANJUAN, Atlas de la Chine. Une grande puissance sous tension, Paris, Editions Autrement, 2015

Londres, un pôle touristique dynamique (2014)

« En 2013, encore plus de visiteurs se sont bousculés dans les allées du British Museum, première attraction de Londres, de la Tate Modern ou de la National Gallery. Ils se sont envolés dans les cabines de la grande roue London Eye ou dans les sombres couloirs de la Tour de Londres. Une affluence record permet aux dirigeants de la ville d’espérer pouvoir annoncer, ce jeudi, qu’en franchissant la barre des 16 millions de touristes étrangers, la capitale britannique aurait détrôné Bangkok et Paris en tête des villes les plus visitées sur la planète. Si les critères peuvent diverger, Paris avait accueilli 15,9 millions d’étrangers en 2012. New York se classe en quatrième position.

La mairie de Londres lie directement ce regain d’intérêt à un « effet Jeux olympiques ». Un cercle vertueux, qui parvient à éviter la tendance des villes olympiques à constater une désaffection l’année suivante. Au contraire, Londres affichait une hausse de fréquentation de 8 % au premier semestre. Dans l’ensemble du pays, les arrivées d’étrangers ont bondi de 11 % sur les neuf premiers mois de l’année, à près de 25 millions de personnes.

« L’image de Londres a changé grâce aux JO, estime Kit MALTHOUSE, maire adjoint de la ville. Les gens ont vu une ville belle, ouverte, vibrante, au-delà des clichés habituels sur la reine et le gin Beefeater. » Les touristes londoniens proviennent en grande majorité d’Europe, devant l’Amérique du Nord et le reste du monde. Ceux venant de Chine, d’Inde ou du Moyen-Orient représentent une large part de la croissance constatée. Mais la politique de visas restrictive du gouvernement CAMERON freine le développement de cette clientèle, au détriment de Paris. C’est pourquoi, sur pression des milieux d’affaires et du lobby touristique, le ministère de l’Intérieur a accepté d’assouplir sa pratique pour les Chinois.

Ces visiteurs dépensent beaucoup : 5 milliards de livres (6 milliards d’euros) sur les six premiers mois de 2013, en hausse de 12 %. Le West End, quartier du shopping, des restaurants et des théâtres, pèse économiquement plus que la City, et davantage que tout le secteur agricole britannique.

Chez London & Partners, l’agence de promotion de la capitale, on se félicite d’un « feel good factor » post-olympique et post-jubilé royal, prolongé par l’engouement autour de la naissance du prince GEORGE, la victoire d’Andy MURRAY à Wimbledon et des expositions événements comme « Pompéi » au British Museum ou « David Bowie » au Victoria & Albert. Facteur exceptionnel contribuant à l’attrait de la capitale britannique : les touristes ont en plus pu profiter d’un été magnifique. »

 

Florentin COLLOMP, « Tourisme : Londres détrône Paris », Le Figaro, 16 janvier 2014

Les trois voies pour sortir du « problème » algérien selon DE GAULLE (1959)

« Notre redressement se poursuit. […] L’unité nationale est ressoudée. La République dispose d’institutions solides et stables. […]

Pourtant devant la France un problème difficile et sanglant reste posé : celui de l’Algérie. Il nous faut le résoudre ! Nous ne le ferons certainement pas en nous jetant les uns aux autres à la face les slogans stériles et simplistes […]. Nous le ferons comme une grande nation et par la seule voie qui vaille, je veux dire par le libre choix que les Algériens  eux – mêmes voudront faire de leur avenir.

A vrai dire beaucoup a été fait déjà pour préparer cette issue. Par la pacification, d’abord. Car rien ne peut être réglé tant qu’on tire et qu’on égorge. A cet égard je ne dis pas que nous en soyons au terme. […] Notre armée accomplit sa mission courageusement et habilement, en combattant l’adversaire et en entretenant avec la population des contacts larges et profonds qui n’avaient jamais été pris. Que nos soldats, en particulier les 120 000 qui sont musulmans, aient fléchi devant leur devoir, ou bien que la masse Algérienne se soit tournée contre la France, alors c’était le désastre ! Mais comme il n’en a rien été le succès de l’ordre public […] se trouve désormais bien en vue.

La deuxième condition du règlement est que tous les Algériens aient le moyen de s’exprimer par le suffrage vraiment universel. Jusqu’à l’année dernière ils ne l’avaient jamais eu. Ils l’ont à présent grâce à l’égalité des droits, au collège unique, au fait que les communautés les plus nombreuses, celles des musulmans, sont assurées d’obtenir dans tous les scrutins la grande majorité des élus. […] Le 28 septembre dernier les Algériens  ont, par référendum, adopté la Constitution et marqué leur intention que leur avenir se fasse avec la France. Le 30 novembre, ils ont élu leurs députés ; le 19 avril, leurs conseils municipaux ; le 31 mai, leurs sénateurs. […] En tout cas la voie est ouverte. […]

Car résoudre la question Algérienne, […] c’est surtout, traiter un problème humain. […] 8 000 hectares de bonnes terres sont en voie d’attribution à des cultivateurs musulmans. […] Dans six semaines le pétrole d’Hassi-Messaoud arrivera sur la côte, à Bougie. Dans un an, celui d’Edjelé atteindra le golfe de Gabès. En 1960, le gaz d’Hassi-R’Mel commencera d’être distribué à Alger et à Oran, en attendant de l’être à Bône. Que la France veuille et qu’elle puisse poursuivre avec les Algériens  la tâche qu’elle a entreprise et dont elle seule est capable, l’Algérie sera dans quinze ans un pays prospère et productif.

Grâce au progrès de la pacification, au progrès démocratique, au progrès social, on peut maintenant envisager le jour où les hommes et les femmes qui habitent l’Algérie seront en mesure de décider de leur destin, une fois pour toutes, librement, en connaissance de cause. […]

Mais le destin politique, qu’Algériennes et Algériens auront à choisir dans la paix, quel peut-il être ? […] Les trois solutions concevables feront l’objet de la consultation. Ou bien : la sécession, où certains croient trouver l’indépendance. La France quitterait alors les Algériens qui exprimeraient la volonté de se séparer d’elle […]. Ou bien la francisation complète, telle qu’elle est impliquée dans l’égalité des droits ; les Algériens pouvant accéder à toutes les fonctions politiques, […] et devenant partie intégrante du peuple français, qui s’étendrait dès lors, effectivement, de Dunkerque à Tamanrasset. Ou bien : le gouvernement des Algériens par les Algériens, appuyé sur l’aide de la France et en union étroite avec elle, pour l’économie, l’enseignement, la défense, les relations extérieures […].

Le sort des Algériens appartient aux Algériens, non point comme le leur imposeraient le couteau et la mitraillette, mais suivant la volonté qu’ils exprimeront légitimement par le suffrage universel. »

 

Charles DE GAULLE (président de la République), allocution radio-télévisée prononcée au palais de l’Elysée le 16 septembre 1959

Le porte-conteneurs Andromeda, un mastodonte au centre du dispositif en hub de la CMA CGM (2009)

« L’Andromeda est un navire symbolique. C’est le plus grand du groupe maritime français, le nouvel emblème de l’offre de la compagnie sur les lignes Asie-Europe, mais aussi le premier à intégrer certaines avancées techniques en matière de respect de l’environnement. Affecté sur le service FAL 1 entre l’Asie et l’Europe, ce mastodonte mesure 363 mètres de long, 45,6 mètres de large et affiche un port en lourd de 128 760 tonnes. […]

Ainsi, arrivent désormais d’Asie le gros des appareils d’électroménager, d’électronique, ainsi que les produits textiles ou encore l’ameublement. Lorsqu’ils viennent de l’Est, les porte-conteneurs sont pleins mais, lorsqu’ils en repartent, la moitié des boites sont vides, l’Europe exportant de moins en moins vers les pays asiatiques. Ainsi, au départ du vieux continent, on trouve surtout des biens à faible valeur ajoutée, comme de la ferraille ou de la poudre de lait. Mais il y a aussi des équipements lourds. Sous les panneaux de cale, positionnés sur des flat tracks (planchers), ont été par exemple transportées les rames de métros de Shanghai et Singapour. […]

Le CMA CGM Andromeda est exploité sur le service French Asia Line 1. En tout, cette ligne hebdomadaire aligne 10 navires de 8500 à 11 400 EVP*. Elle dessert en tout 18 ports entre l’Europe du Nord et l’Asie, notamment les trois principales zones d’exportation chinoises : Xingang et Dalian au Nord, Shanghai au Centre et Yantian au Sud. […] Le CMA CGM Andromeda est le premier d’une nouvelle série de 12 navires de 11 400 EVP qui porteront tous des noms de constellations. Musca, Libra, Centaurus, Gemini, Aquila… Ces bateaux, qui seront livrés à la compagnie en 2009 et 2010, sont réalisés par Hyundai à Ulsan, en Corée du Sud. Ce chantier est l’un des plus importants du monde. Pas moins de 30 000 personnes y travaillent pour produire une cinquantaine de navires par an. Ulsan est aussi un site totalement intégré, qui ne se contente pas d’assembler des coques. Hyundai y réalise tous les éléments du navire, de la découpe de tôles à la fonte des hélices, en passant par la réalisation sous licence des moteurs de propulsion. En un peu plus d’un an, en plus de ses autres clients, l’industriel sud-coréen achèvera donc 12 mastodontes pour CMA CGM. Ces navires viendront s’ajouter à 4 autres unités, légèrement différentes mais de capacité comparable (11 000 EVP), commandées à son compatriote Daewoo. […]

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’un navire comme le CMA CGM Andromeda n’est qu’un maillon d’une importante chaîne logistique. Dans chaque port, des boites sont embarquées et déchargées. Nombre d’entre elles repartiront sur un autre bateau, pour une destination non couverte par la ligne. Ainsi, au Havre, certains conteneurs seront rembarqués sur les navires du type PCRP**, qui desservent les Antilles. D’autres iront, à quelques centaines de mètres de là, sur le porte-conteneurs de Delmas, qui partira bientôt pour l’Afrique. C’est le concept des hubs, avec des lignes principales pour les grandes routes et des services secondaires pour les marchés moins importants, auxquels s’ajoutent les lignes feeder, avec de petits porte-conteneurs effectuant du cabotage entre les ports. »

*EVP : équivalent vingt pieds ; il s’agit de l’unité de mesure traditionnelle des conteneurs.

**PCRP : porte-conteurs réfrigéré polyvalent.

Vincent GROIZELEAU, « Le porte-conteneurs CMA CGM Andromeda et les lignes Asie – Europe », meretmarine.com, 30 avril 2009

L’apport des « cerveaux » indiens aux Etats-Unis (2006)

« En ce début de XXIe siècle, l’Inde est identifiée au niveau mondial comme un pays ressource pour les migrations de personnes très qualifiées et éduquées, les travailleurs de la connaissance ainsi qu’on les a dénommés […], comprenant principalement les professionnels des technologies de l’information et les médecins. Cependant aux XIXe et XXe siècles, l’Inde était déjà un pays ressource mais pour une main d’œuvre peu qualifiée. Des paysans ont migré vers les économies de plantation dans la période coloniale, puis des travailleurs peu qualifiés vers les économies pétrolières dans la seconde moitié du siècle dernier. Le mouvement des travailleurs de la connaissance a été perçu de façon beaucoup plus négative que les migrations précédentes car il impliquait des coûts financiers, sociaux et politiques plus élevés pour les pays émetteurs. Les coûts de l’émigration des diplômés, qualifiée d’exode des cerveaux, ont tout d’abord été considérés financièrement comme un investissement perdu dans l’éducation. Deuxièmement, d’un point de vue social, il s’agissait d’une perte de qualification avec le départ de personnel formé. Enfin politiquement, l’exode de jeunes diplômés était aussi perçu comme [une] perte […]. Au regard de ces coûts, parfois difficilement quantifiables, les bénéfices de l’exode des cerveaux ont été faibles. Les principaux bénéfices identifiés ont été les remises monétaires, les transferts de technologies […] et/ou la migration de retour de ces Indiens plus éduqués et expérimentés lorsqu’elle avait lieu. […]

Les États-Unis, eux, pouvaient intégrer ces diplômés dans leur industrie électronique ou leur secteur de santé, après généralement un complément de formation universitaire. Si nous nous limitons [au] premier secteur, nous constaterons que les Indiens expatriés ont participé à l’émergence de la Silicon Valley. […] Le déficit de professionnels hautement qualifiés dans le domaine des technologies de l’information et de la communication a été comblé par des Chinois, des Taïwanais et des Indiens qui représentent aujourd’hui, 25 % des informaticiens de la [Silicon Valley]. À partir du début des années 80, ceux-ci ont également participé à la dynamique économique en créant leurs propres entreprises, pas moins de 3000, employant près de 70 000 personnes […].

Aujourd’hui nous sommes face à une équivalence inversée, les États-Unis s’inquiètent de la délocalisation des emplois de services alors que l’Inde accueille à bras ouverts les membres de sa diaspora qui reviennent au pays pour investir dans le secteur des technologies de l’information et de la communication. »

 

Binod KHADRIA, Eric LECLERC, « Exode des emplois contre exode des cerveaux, les deux faces d’une même pièce ? », Autrepart, 2006/1 (n° 37), p. 37-51

 

Le Moyen-Orient et le pétrole depuis les années 1970

« Au début des années 70, la demande de pétrole s’accroît, notamment en provenance des Etats-Unis où l’extraction est de plus en plus coûteuse. Ceux-ci préfèrent s’approvisionner à bas prix au Moyen Orient. Le dollar se dévalue : les pays exportateurs s’estiment exploités. […] Parallèlement, les membres de l’OPEP affirment leur souveraineté sur leurs ressources pétrolières, tenant un discours radical (Algérie, Libye, Irak), ou souhaitant une prise de participation progressive. Les relations se durcissent au moment de la guerre du Kippour (octobre 1973). Par solidarité avec les Palestiniens, les pays arabes décident d’utiliser l’arme du pétrole et prennent les mesures suivantes : réduction du volume des exportations ; embargo total contre plusieurs pays occidentaux, dont les Etats-Unis ; quadruplement du prix du pétrole brut à 11,65 dollars […].
Les principales victimes de cette hausse sont en fait les pays en développement, qui s’endettent auprès de la communauté internationale. […] Dans ce contexte de déséquilibres persistants, et malgré des signes de reprise économique, la chute du Shah d’Iran en 1979 entraîne le retrait du pétrole iranien, provoque le deuxième choc pétrolier et relance la hausse des prix. En réalité, il s’agit de la deuxième étape d’un double choc qui, en une petite décennie, transforme de fond en comble l’économie de la planète et favorise la mondialisation du pétrole. […] Dans cette optique, le Moyen Orient, parce qu’il dispose de réserves importantes exploitables à des coûts très inférieurs à ceux des autres régions pétrolières, occupe une place privilégiée. C’est pourquoi, la communauté internationale, se souciant de plus en plus du libre accès de tous aux ressources pétrolières de la planète, ne peut s’en désintéresser. Cet intérêt justifie la guerre du Golfe en 1991. […] Parce que le Moyen Orient peut toujours être le lieu de conflits armés, la consolidation des autres régions pétrolières reste néanmoins un objectif partagé par la communauté internationale. Les recherches y contribuent dans le Golfe de Guinée, dans le Golfe du Mexique, en mer Caspienne, au Brésil, en Australie. […]
Avec plus de 60% des réserves mondiales prouvées, le Moyen Orient est, sans contestation possible, le cœur pétrolier du monde. En son sein, l’Arabie Saoudite arrive largement en tête avec quelques 264 milliards de barils de réserves prouvées sur un total mondial de 1 200 milliards […]. Elle est suivie par quatre autres États riverains du Golfe persique : l’Iran (137 milliards de barils), l’Irak (115), le Koweït (101) et les Émirats arabes unis (98). Côté production, là encore, les États du Moyen Orient occupent le premier rang. Si l’on met en rapport production et réserves disponibles, cette région bénéficie d’un potentiel de plus de quatre-vingt années de production, soit dix fois plus que l’Europe et quatre fois plus que l’Amérique. Cette place prédominante des pays du Moyen Orient explique largement la sensibilité des grandes puissances industrielles aux soubresauts politiques qui agitent cette région. […] Qu’une tension survienne et elle se répercute instantanément sur les prix internationaux car, immédiatement, la pénurie effraie et le libre approvisionnement est menacé. »

 

Dossier « Le pétrole, un enjeu international », La Documentation française, 2011
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