Les Philippins dans le monde : une diaspora organisée (Carto, 2013)
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« Dans un monde peuplé de 7 milliards d’habitants, 1 milliard sont en situation de mobilité, qu’il s’agisse de migrations internes (75 % des cas) ou internationales (25 %). Ces dernières n’ont cessé de croître au cours des quarante dernières années : elles concernaient 77 millions d’individus en 1975, 150 à la fin du siècle dernier, 190 au début du nouveau millénaire et 244 millions aujourd’hui. Elles présentent des configurations différentes et les migrants actuels se sont diversifiés. Aux traditionnelles migrations Sud-Nord (famille, travail, asile) s’ajoutent les migrations Sud-Sud (travail et asile), les migrations Nord-Nord (expatriés qualifiés) et les migrations Nord-Sud (seniors en quête de soleil et expatriés). Le Sud est devenu une région d’émigration mais aussi d’immigration et de transit.
En 2050, la population mondiale devrait atteindre 9 à 10 milliards d’habitants, dont la moitié d’Asiatiques et un quart d’Africains. En Europe, le vieillissement démographique va certainement se traduire par une demande accrue de main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée, notamment dans le secteur des soins aux personnes âgées, tandis que le nombre de personnes venues poursuivre leurs études continuera d’augmenter, constituant une importante source de main-d’œuvre qualifiée. Autrement dit, les migrations ne sont pas près de s’arrêter : en 2015, les envois de fonds vers les pays en développement ont dépassé 500 milliards de dollars.
L’ouverture des frontières, appelée à devenir l’une des questions majeures du XXIe siècle, demeure pour certains une utopie, pour d’autres un objectif susceptible de mettre fin aux tragédies des milliers de clandestins qui meurent aux portes des frontières des pays riches, ainsi qu’à toutes les formes de sous-citoyenneté induites par la condition de sans-papiers. […] Des espaces de circulation régionale se dessinent aujourd’hui, correspondant aux systèmes migratoires régionalisés qui se sont spontanément mis en place.
Ainsi, dans le bassin méditerranéen, par exemple, la création d’un tel espace permettrait des complémentarités démographiques et de main-d’œuvre. […] Mais le Vieux Continent restera-t-il attractif face aux États-Unis ou au Canada ? Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), de leur côté, attirent et recherchent des projets pour lesquels l’immigration de créateurs, de chercheurs, d’innovateurs serait encouragée et donc légale. D’autres espaces de circulation régionaux ont été créés au Sud, mais ils fonctionnent mal ou ont cessé d’exister, du fait des crises politiques. »
Catherine WIHTOL DE WENDEN, Atlas des migrations, Paris, Autrement, 2016, p. 10-11
« En ce début de XXIe siècle, l’Inde est identifiée au niveau mondial comme un pays ressource pour les migrations de personnes très qualifiées et éduquées, les travailleurs de la connaissance ainsi qu’on les a dénommés […], comprenant principalement les professionnels des technologies de l’information et les médecins. Cependant aux XIXe et XXe siècles, l’Inde était déjà un pays ressource mais pour une main d’œuvre peu qualifiée. Des paysans ont migré vers les économies de plantation dans la période coloniale, puis des travailleurs peu qualifiés vers les économies pétrolières dans la seconde moitié du siècle dernier. Le mouvement des travailleurs de la connaissance a été perçu de façon beaucoup plus négative que les migrations précédentes car il impliquait des coûts financiers, sociaux et politiques plus élevés pour les pays émetteurs. Les coûts de l’émigration des diplômés, qualifiée d’exode des cerveaux, ont tout d’abord été considérés financièrement comme un investissement perdu dans l’éducation. Deuxièmement, d’un point de vue social, il s’agissait d’une perte de qualification avec le départ de personnel formé. Enfin politiquement, l’exode de jeunes diplômés était aussi perçu comme [une] perte […]. Au regard de ces coûts, parfois difficilement quantifiables, les bénéfices de l’exode des cerveaux ont été faibles. Les principaux bénéfices identifiés ont été les remises monétaires, les transferts de technologies […] et/ou la migration de retour de ces Indiens plus éduqués et expérimentés lorsqu’elle avait lieu. […]
Les États-Unis, eux, pouvaient intégrer ces diplômés dans leur industrie électronique ou leur secteur de santé, après généralement un complément de formation universitaire. Si nous nous limitons [au] premier secteur, nous constaterons que les Indiens expatriés ont participé à l’émergence de la Silicon Valley. […] Le déficit de professionnels hautement qualifiés dans le domaine des technologies de l’information et de la communication a été comblé par des Chinois, des Taïwanais et des Indiens qui représentent aujourd’hui, 25 % des informaticiens de la [Silicon Valley]. À partir du début des années 80, ceux-ci ont également participé à la dynamique économique en créant leurs propres entreprises, pas moins de 3000, employant près de 70 000 personnes […].
Aujourd’hui nous sommes face à une équivalence inversée, les États-Unis s’inquiètent de la délocalisation des emplois de services alors que l’Inde accueille à bras ouverts les membres de sa diaspora qui reviennent au pays pour investir dans le secteur des technologies de l’information et de la communication. »
Binod KHADRIA, Eric LECLERC, « Exode des emplois contre exode des cerveaux, les deux faces d’une même pièce ? », Autrepart, 2006/1 (n° 37), p. 37-51