TEXTES »

Julianus reçoit la citoyenneté romaine (table de Banasa, IIe siècle)

Lettre des empereurs Antonin et Verus [empereurs de 161 à 169], nos Augustes, à Coiiedius Maximus [gouverneur de la province de Maurétanie] :

« Nous avons pris connaissance de la requête de Julianus, du peuple des Zegrenses [peuple de Maurétanie, dans le Maroc actuel], jointe à ta lettre, et bien qu’il ne soit pas habituel d’octroyer la citoyenneté romaine à des membres de ces tribus, si ce n’est pour des mérites indiscutables appelant la faveur impériale, cependant, puisque tu affirmes qu’il appartient aux premiers de son peuple et qu’il a fait preuve d’une très grande loyauté en manifestant sa soumission à nos intérêts, considérant d’autre part que nous pouvons penser qu’il n’y a guère chez les Zegrenses de familles capables de se prévaloir de services comparables aux siens, encore qu’il soit de notre désir que beaucoup soient incités à suivre l’exemple de Julianus par l’honneur que nous apportons à ce foyer, nous n’hésitons pas à donner la citoyenneté romaine […] à Julianus lui-même, à son épouse Ziddina et à leurs enfants Julianus, Maximus, Maximinus et Diogenianus. »

 

Table de Banasa, 168-169 ap. J-C. Ce document épigraphique a été retrouvé à Banasa (actuel Maroc) en 1957. Il s’agit de la copie conforme, datée de 177 de documents relatifs à la concession de la citoyenneté romaine par l’empereur Marc Aurèle à une famille de notables des Zegrenses, une tribu de Maurétanie Tingitane.

Golda MEIR relate sa vision des premiers conflits israélo-arabes

Golda MEIR (1898-1978) est une femme politique qui compte parmi les 24 personnalités signataires de la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël le 14 mai 1948 à Tel-Aviv. Elle devient ensuite ministre des Affaires étrangères, puis quatrième Premier ministre d’Israël de 1969 à 1975.

 

Donc, nous étions maintenant un fait acquis. La seule question qui demeurât – et si incroyable que ce soit, elle n’est toujours pas résolue – était de savoir comment nous resterions en vie. Non pas « si », mais vraiment « comment ». Le matin du 15 mai, Israël était déjà l’objet d’agressions armées des Égyptiens au sud, des Syriens et des Libanais au nord et au nord-est, des Jordaniens et des Irakiens à l’est. Sur le papier, on eût dit, cette semaine-là, que les Arabes étaient fondés à se vanter d’écraser Israël dans les dix jours à venir.

L’avance la plus implacable était celle des Égyptiens – bien que, de tous nos envahisseurs, ce fussent ceux qui eussent certainement le moins à gagner. ABDALLAH1 avait sa raison ; elle était mauvaise mais elle existait et il pouvait la définir : il voulait le pays tout entier, et notamment Jérusalem. Le Liban et la Syrie avaient aussi leur raison : l’espoir d’être en mesure de se partager toute la Galilée2. L’Irak avait envie de participer au bain de sang et de prendre son petit bénéfice en acquérant une fenêtre sur la Méditerranée, à travers la Jordanie au besoin. Mais l’Égypte n’avait pas un seul vrai but de guerre, si ce n’est de piller et de détruire tout ce que les juifs avaient bâti. En fait, je n’ai jamais cessé de m’étonner de l’ardeur extrême des États arabes à partir en guerre contre nous. Presque du premier jour de la colonisation sioniste jusqu’à maintenant, ils n’ont jamais cessé de se consumer de haine pour nous. La seule explication plausible – et elle est ridicule – est qu’ils ne peuvent tout bonnement pas supporter notre présence et nous pardonner d’exister, et j’ai du mal à croire que les chefs de tous les États arabes aient toujours été si primitifs dans leur raisonnement, et le demeurent.

De notre côté, qu’avons-nous donc fait qui menace les États arabes ? C’est vrai, nous avons refusé de rendre les territoires conquis dans les guerres commencées par eux. Mais conquérir des territoires n’a, en définitive, jamais été le véritable but des agressions arabes. […] Qu’était-ce donc alors ? […] Qui peut le dire ? Quoi que ce fût et que ce soit, cela dure toujours – tout comme nous d’ailleurs – et l’on ne trouvera probablement pas la réponse avant bien des années, quoique je n’aie pas le moindre doute que le jour viendra où les États arabes nous accepteront, tels que nous sommes et pour ce que nous sommes. Bref, la paix dépend et a toujours dépendu, uniquement, d’une seule chose : il faut que les dirigeants arabes admettent notre présence ici.

 

1. Il s’agit d’ABDALLAH, roi de Jordanie de 1946 à 1951.
2. Région du nord d’Israël.

 

Golda MEIR, Ma vie, éditions Robert Laffont, 1975

Les défis de l’UE selon le président du Conseil européen (2009)

Certains passages de ce discours ont été prononcés en français [FR], d’autres en anglais [EN], d’autres encore en néerlandais.

 

« [FR] Nous vivons une période exceptionnellement difficile : la crise financière et les effets dramatiques sur l’emploi et les budgets, la crise climatique qui menace notre survie. Une période d’angoisse et d’incertitude et de manque de confiance. Et pourtant les problèmes sont surmontables avec un effort conjoint dans nos pays et entre les pays. […]

[FR] Si je veillerai à ce que toutes nos délibérations se concluent sans vaincus, il faut pour cela que les institutions fonctionnent de façon optimale. Après le trajet douloureux du Traité de Lisbonne, je pense que nous disposerons, dès le 1er décembre, d’un nouveau cadre institutionnel et de nouvelles règles pour longtemps et même pour très longtemps. Le débat institutionnel est clos pour une longue période. Je souhaite faire fonctionner ce cadre et ces règles librement choisies par tous nos gouvernements. Je le ferai en concertation permanente avec le Président de la Commission et du Parlement européen dans un souci constant d’équilibre entre les institutions. […]

[EN] Le Traité a chargé le Président permanent du Conseil Européen d’une responsabilité particulière. En matière de politique étrangère, il représentera l’Union à son niveau et en sa qualité. Je serai donc présent aux réunions des Sommets avec nos partenaires dans le monde, et je présenterai les positions que le Conseil aura approuvées. Ainsi notre position dans le monde, notre sécurité et notre prospérité pourront bénéficier d’une présence institutionnelle plus forte. Je compte aussi sur le Président de la Commission pour assumer un rôle analogue dans les domaines autres que la Politique étrangère et de sécurité commune.

[EN] L’Union Européenne est un acteur économique de poids, représente un demi milliard d’hommes et de femmes et est porteur d’un projet de société où solidarité et créativité sont essentielles. L’Europe est une Union de valeurs. C’est pourquoi nous avons la responsabilité de jouer un rôle important dans le monde. Ce monde n’a d’avenir sans un grand nombre de nos valeurs. D’ailleurs, j’espère que notre Union s’élargira encore les prochains 2 ans et demi à des pays qui bien sûr remplissent les conditions.

 

Discours d’Herman VAN ROMPUY (alors Premier ministre de Belgique) prononcé le 19 novembre 2009 suite à l’annonce de sa nomination en tant que premier président à temps plein du Conseil européen (pour une période de deux ans et demi) (texte complet)

La Chine sur la voie de la puissance économique et de la démocratie selon HU Jintao (2004)

Il y a 25 ans, sous la conduite de Monsieur DENG Xiaoping, la Chine a lancé une nouvelle politique de réforme et d’ouverture sur l’extérieur pour explorer une nouvelle voie du développement socialiste, en axant toutes ses activités sur sa modernisation. Après 25 ans d’efforts inlassables, de 1979 à 2003, les forces productives de la société chinoise et la puissance globale de la Chine n’ont cessé de se développer pour atteindre de nouveaux paliers : le système d’économie de marché socialiste a été institué pour l’essentiel ; une économie ouverte sur l’extérieur a été mise en place ; tous les secteurs d’activité ont connu un développement général et la population chinoise, dans son ensemble, a accès à une vie d’aisance moyenne. En 25 ans, le PIB est passé de 147,3 milliards de dollars [américains] à plus de 1 400 milliards de dollars ; […] les investissements étrangers qui étaient nuls, ont atteint 679,6 milliards ; […] et la Chine occupe aujourd’hui la première place pour la production de charbon brut, d’acier, de ciment, de téléviseurs-couleurs et de téléphones portables. […]
La réforme du système économique s’accompagne de celle sur le plan politique. La démocratie socialiste constitue un objectif que nous poursuivons constamment. Nous avons dit clairement que sans la démocratie, il n’y aurait pas de socialisme, ni de modernisation socialiste. Nous avons donc déployé de grands efforts pour promouvoir la réforme des structures politiques. […] Le peuple chinois a vu ses droits civils et politiques ainsi que ses libertés fondamentales sauvegardées et protégées en vertu de la loi. […]
La réforme et l’ouverture sur l’extérieur ont enregistré des succès indéniables. Mais avec ses 1,3 milliards d’habitants et une base économique faible, la Chine demeure un pays aux forces productives sous-développées, confrontée aux inégalités de développement entre régions. Classée 6e pour son PIB, la Chine n’est pas dans les cent premiers pays pour son PIB par habitant qui dépasse à peine 1 000 USD. Elle a encore un long chemin à parcourir avant de réaliser sa modernisation et d’assurer à tous les Chinois une vie aisée. »

 

Discours du Président de la République Populaire de Chine HU Jintao devant l’Assemblée nationale française à Paris, 27 janvier 2004

Les défis de l’UE selon F. MITTERRAND en 1995

« Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Comme vous le savez, depuis le 1er janvier de cette année [1995], la France préside l’Union européenne. […] je veux souhaiter aux trois nouveaux États membres une chaleureuse bienvenue parmi vous et parmi nous. Avec eux, l’Union européenne se sent plus forte, plus représentative et donc plus légitime encore, au regard du grand dessein historique qu’elle incarne. […] Ce dont il s’agit, ce dont nous avons à parler, c’est bien d’assurer à l’Europe la place et le rôle qui lui reviennent dans un monde à construire : une Europe puissante économiquement et commercialement, unie monétairement, active sur le plan international, capable d’assurer sa propre défense, féconde et diverse dans sa culture. Cette Europe-là sera d’autant plus attentive aux autres peuples qu’elle sera plus sûre d’elle-même. […]

il faut mettre en application le traité sur l’Union européenne, que nos parlements et nos peuples ont solennellement ratifié. […] Qu’il s’agisse de l’institution d’une monnaie unique, de la mise en œuvre d’une politique étrangère commune, de la construction progressive d’une défense indépendante, qui ne soit pas pour autant déliée de ses engagements à l’égard de ses alliés. L’Europe que nous avons constituée a ses préférences et elle entend y rester fidèle, qu’il s’agisse de la libre circulation des hommes ou de l’affirmation de la citoyenneté européenne. […]

Il faut se préparer aux élargissements ultérieurs de l’Union. Il y a entre ces deux impératifs un lien logique : plus l’Europe s’affirme sur le plan interne, plus sa force d’attraction s’exerce sur les autres pays démocratiques d’Europe. Encore faut-il que ces deux objectifs ne se contredisent pas. Et c’est là la difficulté : car il faut élargir, mais il faut renforcer l’Union existante. Il ne faut pas que l’élargissement affaiblisse ce qui existe ; et il ne faut pas que ce qui existe empêche l’élargissement de l’Union aux limites de l’Europe démocratique. […]

À côté des marchés, il y a place pour les activités économiques et sociales fondées sur la solidarité, la coopération, l’association, la mutualité, l’intérêt général, bref, le service public. Or, aujourd’hui, si nous avons tracé le contour de l’Europe sociale, il n’y a pas de contenu. N’est-ce pas une œuvre exaltante, passionnante que de donner un contenu social à l’Europe ? N’est-ce pas le travail des mois et des années prochains ? […]

L’Europe, ai-je dit, doit rencontrer l’adhésion des citoyens. Les grands espaces ouverts peuvent engendrer un sentiment d’angoisse ; et il faut prendre garde à ne pas laisser s’installer chez nos concitoyens une sorte de refus de l’autre, de refus de l’étranger, ou bien une sorte d’agoraphobie européenne. Elle existe. Pour l’éviter, donnons plein effet aux dispositions prévues dans le traité sur l’Union européenne. […]

Enseignons également l’Europe : apprenons-la à nos enfants. Que l’école les prépare à devenir des citoyens, qu’elle développe l’enseignement de l’histoire, de la géographie et des cultures du Continent. Mettons l’accent sur les jumelages scolaires, universitaires, sur les échanges d’élèves et d’étudiants ; insistons sur le plurilinguisme. […]

Il se trouve que les hasards de la vie ont voulu que je naisse pendant la première guerre mondiale et que je fasse la seconde. J’ai donc vécu mon enfance dans l’ambiance de familles déchirées, qui toutes pleuraient des morts et qui entretenaient une rancune, parfois une haine, contre l’ennemi de la veille. L’ennemi traditionnel ! […] Il faut transmettre, non pas cette haine, mais au contraire la chance des réconciliations — que nous devons, il faut le dire, à ceux qui dès 1944-1945, eux-mêmes ensanglantés, déchirés dans leur vie personnelle le plus souvent, ont eu l’audace de concevoir ce que pourrait être un avenir plus radieux, fondé sur la réconciliation et sur la paix. C’est ce que nous avons fait. […]

Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire. Et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera, Mesdames et Messieurs : le nationalisme, c’est la guerre ! La guerre n’est pas seulement le passé, elle peut être notre avenir ; et c’est vous, Mesdames et Messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de notre avenir. »

 

Discours de François MITTERRAND (président de la République française) présentant le programme de la présidence française de l’Union européenne (UE) devant le Parlement européen à Strasbourg, 17 janvier 1995 (discours entier)

Nicolas SARKOZY critique la repentance (2007)

« Je déteste cette mode de la repentance qui exprime la détestation de la France et de son histoire. Je déteste la repentance qui veut nous interdire d’être fiers de notre pays. Je déteste la repentance qui est la porte ouverte à la concurrence des mémoires. Je déteste la repentance qui dresse les Français les uns contre les autres en fonction de leurs origines. Je déteste la repentance qui est un obstacle à l’intégration parce que l’on a rarement envie de s’intégrer à ce que l’on a appris à détester, alors que l’on devrait le respecter et l’aimer. Voilà ma vérité.

Je suis de ceux qui pensent que la France n’a pas à rougir de son histoire. Je voudrais rappeler à tous ses détracteurs que la France n’a pas commis de génocide. Elle n’a pas inventé la solution finale. La France a inventé les droits de l’homme et est le pays au monde qui s’est le plus battu pour la liberté du monde. Voilà ce qu’est l’histoire de la France ! […] Durant la guerre tous les Français n’ont pas été pétainistes, il y a eu les héros de la France libre et de la Résistance. Si certains Français ont dénoncé des juifs à la Gestapo, d’autres, plus nombreux, les ont aidés au péril de leur vie, des mères ont caché des enfants juifs parmi leurs propres enfants. »

 

Nicolas SARKOZY, discours prononcé à Lyon dans le cadre de la campagne présidentielle de 2007, 5 avril 2007.

Françoise GIROUD témoigne du « choc » du film Le chagrin et la pitié (1971)

« Ce film, vous ne le verrez pas sur le petit écran auquel il était destiné. On tient en haut lieu les Français incapables de se regarder dans une glace, tels qu’ils furent, tels qu’ils se dépeignent eux-mêmes, tels qu’ils se jugent.

Tout le monde le sait mais il ne faut pas le dire. Le manteau d’Hermine que Charles DE GAULLE a jeté sur les guenilles de la France doit à jamais dissimuler qu’elle avait perdu non seulement la guerre, ce qui n’est rien, mais l’honneur. Et, que prise en bloc, elle s’en arrangeait bien.

Le premier choc est dur. Pour peu qu’on ait eu plus de quinze ans en 1940, on en suffoque. Pleurer soulagerait. Mais on ne pleure pas. On rage.

La foule, fervente, agitant des petits drapeaux, acclamant un vieux soldat, parce qu’ « en France, ça finit toujours par un militaire » dit cruellement un anglais. Maurice CHEVALIER chantant : « ça sent si bon la France… » En 41. En 42. Pendant que le général HUNTZIGER demandait aux Allemands « si nos deux pays ne pouvaient pas aller plus loin sur le plan de la collaboration militaire ». Il ne fallait pas avoir l’odorat sensible. La brochette de vedettes de l’écran partant joyeusement visiter les studios de Berlin, de Vienne, de Munich… Le Dr GOEBBELS les accueillera. HITLER devant la tout Eiffel, devant l’Opéra, montant les marches de la Madeleine, et, sur son passage, les agents de police saluant spontanément. Spontanément.

Tant et tant d’images qui font mal, de discours chevrotants, de proclamations ignobles ou imbéciles, que l’on croyait oubliés, que nous étions nombreux à avoir volontairement enfouis, pour toujours, dans le sable de la mémoire parce que la vie, ce n’est jamais hier, c’est aujourd’hui.

Oui, le premier choc est dur. Il faut savoir que, au-delà de 40 ans, personne ne peut voir Le Chagrin et la Pitié innocemment. Sans retrouver le goût amer de sa propre lâcheté, si l’on fut de la majorité, soit le tremblement de la fureur, si l’on fut des autres. »

 

Françoise GIROUD, « Le choc du passé », L’Express, 3 mai 1971.

Robert PAXTON revient sur les évolutions de la recherche portant sur Vichy depuis les années 1970

Avant 1981, l’historien américain Robert PAXTON travaillait à partir d’archives américaines et allemandes. En 1981, les archives françaises ouvrent aux chercheurs une partie des fonds du régime de Vichy.

 

« J’écrivais à l’époque [en 1972], d’une façon un peu schématique (et faute d’avoir pu accéder aux rapports préfectoraux) que l’opinion française de 1940 était presque unanimement favorable au maréchal PETAIN, et celle de 1944 presque unanimement favorable au général DE GAULLE. […] Depuis, l’étude attentive et nuancée que Pierre LABORIE a consacrée* aux rapports de police, aux écoutes téléphoniques et au contrôle du courrier à Toulouse a montré que, dans le cas de Toulouse au moins, les réserves à l’égard du gouvernement de Vichy étaient, dès le début, plus largement répandues que je ne l’avais supposé. […] Il vaut aussi la peine de souligner que l’opinion publique a constamment distingué entre le maréchal PETAIN et son gouvernement […]. Le durable prestige personnel du maréchal continuera à légitimer ce que faisait son gouvernement alors que sa politique suscitait depuis longtemps déjà de larges doutes. […] Dans La France de Vichy, j’avais déjà esquissé la thèse que je devais développer par la suite (en 1981) avec Michel MARRUS, dans Vichy et les Juifs : plus personne ne peut contester que les premières mesures antijuives de 1940 relevaient d’une initiative purement française, ni que ce soit Vichy lui-même qui a insisté en 1942 pour coopérer à la déportation des Juifs vers l’Est. »

 

* Pierre LABORIE est un historien français ; PAXTON évoque ici l’ouvrage de ce dernier, L’Opinion publique sous Vichy, publié en 1990.

 

Robert PAXTON, avant-propos à la 2nde édition de La France de Vichy. 1940-1944, Le Seuil, 1997 (1ère édition de 1972 traduite en 1973).

Simone VEIL évoque « le grand silence »

Dernière d’une famille de quatre enfants (elle a un frère et deux sœurs, Madeleine – surnommée Milou – et Denise), Simone VEIL est déportée à Auschwitz en 1944. Ses parents et son frère mourront dans les camps. Dans son autobiographie parue en 2007, elle raconte son retour en France.

 

« Dès le retour des camps, nous avons ainsi entendu des propos plus déplaisants encore qu’incongrus, des jugements à l’emporte-pièce, des analyses géopolitiques aussi péremptoires que creuses. Mais il n’y a pas que de tels propos que nous aurions voulu ne jamais entendre. Nous nous serions dispensés de certains regards fuyants qui nous rendaient transparents. Et puis, combien de fois ai-je entendu des gens s’étonner: « Comment, ils sont revenus? Ça prouve bien que ce n’était pas si terrible que ça. » Quelques années plus tard, en 1950 ou 1951, lors d’une réception dans une ambassade, un fonctionnaire français de haut niveau, je dois le dire, pointant du doigt mon avant-bras et mon numéro de déportée, m’a demandé avec le sourire si c’était mon numéro de vestiaire! Après cela, pendant des années, j’ai privilégié les manches longues. […]

Le départ de DE GAULLE en janvier 1946 ne m’était pas apparu comme une catastrophe nationale. Il avait tellement voulu jouer la réconciliation entre les Français qu’à mes yeux les comptes de l’Occupation n’étaient pas soldés. Au procès de LAVAL, comme à celui de PETAIN, il n’y avait pas eu un mot sur la déportation. La question juive était complètement occultée. Du haut au bas de l’État, on constatait donc la même attitude: personne ne se sentait concerné par ce que les juifs avaient subi. […]

Pendant longtemps, [les déportés] ont dérangé. Beaucoup de nos compatriotes voulaient à tout prix oublier ce à quoi nous ne pouvions nous arracher ; ce qui, en nous, est gravé à vie. Nous souhaitions parler, et on ne voulait pas nous écouter. C’est ce que j’ai senti dès notre retour, à Milou et à moi : personne ne s’intéressait à ce que nous avions vécu. En revanche Denise, rentrée peu avant nous avec l’auréole de la Résistance, était invitée à faire des conférences. […]

La bonne mesure est impossible à trouver […]. Parler de la Shoah, et comment ; ou bien ne pas en parler, et pourquoi ? Eternelle question. [Les résistants] sont dans la position des héros, leur combat les couvre d’une gloire qu’accroît encore l’emprisonnement dont ils l’ont payée ; ils avaient choisi leur destin. Mais nous, nous n’avions rien choisi. Nous étions des victimes honteuses, des animaux tatoués. »

 

Simone VEIL, Une vie, Stock, 2007.

François MITTERRAND distingue Vichy et la République (1992)

« L’État français, si j’ose dire, cela n’existe pas. Il y a la République […] Et la République à travers toute son histoire, la Ière, la IIe, la IIIe, la IVe et la Ve ont constamment adopté une attitude totalement ouverte pour considérer que les droits des citoyens devaient être appliqués à toute personne reconnue comme citoyen et en particulier les Juifs français. Alors, ne lui demandez pas des comptes à cette République, elle a fait ce qu’elle devait. C’est la République qui a, pratiquement depuis deux siècles où les Républiques se sont succédées, décidé de toutes les mesures d’égalité, de citoyenneté. […] La République a toujours été celle qui a tendu la main pour éviter les ségrégations, et spécialement les ségrégations raciales. Alors, ne demandons pas de comptes à la République.

Mais, en 1940, il y a eu un État français, ne séparez pas les termes « État » et « français » ; l’État français c’était le régime de Vichy, ce n’était pas la République, et à cet État français on doit demander des comptes, je l’admets naturellement, comment ne l’admettrais-je pas ? Je partage totalement le sentiment de ceux qui s’adressent à moi, mais précisément la Résistance puis le gouvernement DE GAULLE, ensuite la IVe République, et les autres, ont été fondés sur le refus de cet État français. Il faut être claire. Il n’y a pas de controverses ! »

 

Entretien du président François MITTERRAND avec des journalistes, le 14 juillet 1992.

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