Les migrations internationales »

Les Philippins dans le monde : une diaspora organisée (Carto, 2013)

« Fin 2011, plus de 10,45 millions de Philippins vivaient à l’étranger dans 227 pays ou territoires. Trois grands types de destination se distinguent : les États développés ouverts à l’immigration, les monarchies du golfe Persique et les pays asiatiques proches. Le continent américain regroupe 41,37 % des Philippins expatriés ; ils résident majoritairement aux Etats-Unis, où ils forment la plus importante communauté asiatique après les Chinois, et au Canada. Le Moyen-Orient est la deuxième destination (28,57 % du total), avec une forte présence en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis. L’Asie vient en troisième position avec 13,86 % : la Malaisie constitue la destination principale, loin devant le Japon et Singapour. L’Europe – le Royaume-Uni et l’Italie en tête – n’arrive qu’au quatrième rang (7,73 %), devant l’Océanie (4,31 %) et l’Afrique (0,6 %). A cette dispersion géographique, il faut ajouter 369 104 marins qui passent une grande partie de l’année sur les cargos de marchandises et les navires de croisière.
Le phénomène s’est fortement accru au cours de la dernière décennie, le nombre de migrants passant de 7,4 millions en 2000 à 10,45 millions en 2011 : 47 % d’entre eux le sont à titre permanent, 43 % à titre temporaire et 10 % sont en situation irrégulière dans les pays d’accueil. Les femmes et les personnes âgées de vingt-cinq à cinquante ans constituent les effectifs les plus importants. Si 30 % d’entre eux disposent d’au moins un diplôme universitaire, 70 % n’avaient pas d’activité régulière aux Philippines. Les travailleurs migrants temporaires partent avec un contrat de travail, principalement vers les monarchies du golfe Persique, Singapour et Hong Kong. Ils étaient 1,68 million dans ce cas en 2011. Si les domaines de la construction, de la marine marchande et du bâtiment dominent pour les hommes, les femmes travaillent comme domestiques, femmes de ménage ou infirmières.
Cette émigration massive de la main d’œuvre philippine date des années 1970 et de la loi d’officialisation de la migration de travail (1974). Organisée et institutionnalisée par l’Etat, cette politique s’inscrivait dans un contexte de crise et de forte croissance démographique, permettant de limiter les risques d’explosion sociale. Elle est portée par de nombreux organismes, publics et privés, spécialisés dans ce trafic légal. Ce courant n’a jamais fléchi depuis, bien que la structure économique du pays ait fondamentalement changé et que la croissance se soit consolidée depuis une décennie (6,8 % en 2012, selon la Banque mondiale). Les travailleurs migrants bénéficient également d’un encadrement et d’un système de protection sociale, grâce à des accords de coopération bilatérale signés avec certains pays. Socialement, cette migration est une solution au chômage (7 % en 2011) et à la pauvreté (41,5 % des habitants disposent de moins de 2 dollars par jour en 2009) […]. Economiquement, il s’agit d’une source importante de remises, c’est-à-dire de transferts de fonds adressés aux familles, le quart d’entre elles dépendant des revenus des travailleurs expatriés. Ces capitaux atteignent près de 10% du PIB. Cette somme est aussi un puissant levier pour la construction immobilière dans le pays. Toutefois avec cet exode, les Philippines doivent faire face à une fuite de leurs forces vives, d’autant plus que les jeunes aspirent à suivre le chemin emprunté par leurs prédécesseurs. Si les travailleurs non qualifiés représentent environ le tiers des expatriés, on compte également des enseignants et des médecins qui n’hésitent pas à quitter leur pays et à subir un déclassement professionnel dans les régions d’accueil. L’ouvrier du bâtiment à Dubaï et la domestique travaillant dans les beaux quartiers de Hong Kong ne proviennent pas nécessairement des bidonvilles de Manille. »

 

E. JANIN, « Les Philippins dans le monde : une diaspora organisée », Carto, n°20, novembre-décembre 2013

La France, nouvelle terre d’émigration ? (Challenges, 2015)

« La France, nouvelle terre d’émigration ? L’Hexagone n’en est pas encore là mais les dernières données de l’INSEE confirment une véritable lame de fond. Les Français et les immigrés qui quittent le territoire n’ont jamais été aussi nombreux. Leur nombre est passé de 189 000 à 299 000 entre 2006 et 2013. Dans le détail, 204 000 Français ont choisi de s’expatrier en 2013, contre seulement 160 000 en 2006. Soit une progression de 27,5%. […]
Si le débat politique se concentre aujourd’hui sur la question de l’immigration, le boom des expatriations est rarement mis sur le devant de la scène. Chômage de masse, pression fiscale, opportunités liées à la mondialisation, étudiants en quête d’expérience internationale, retraités qui retournent dans leur pays d’origine ou qui souhaitent découvrir de nouveaux horizons… Les motivations des candidats à l’exil sont très variables. […]
Dans près de 80% des cas, ces départs à l’étranger interviennent pour des Français âgés de 18 à 29 ans. Cette structure n’a que peu évolué depuis 2006. En revanche, ce qui est nouveau, c’est la part de ces derniers qui s’installent durablement à l’étranger. D’après les estimations de l’Institut national de la statistique, sur les 3,3 millions de Français vivant à l’étranger, 26% d’entre eux ont entre 30 et 40 ans. C’est davantage que ceux ayant moins de 30 ans (25%). Les 55 ans et plus représentent quant à eux un peu moins d’un quart des Français de l’étranger. »

 

Jean-Louis DELL’ORO, « Depuis la crise, le nombre d’expatriés a explosé en France », Challenges, 14 octobre 2015

Mondialisation et régionalisation des flux migratoires

« Dans  un  monde  peuplé  de  7  milliards  d’habitants, 1  milliard  sont  en  situation  de  mobilité,  qu’il s’agisse  de  migrations  internes  (75 %  des  cas)  ou  internationales  (25  %).  Ces  dernières  n’ont cessé  de  croître  au  cours  des  quarante  dernières  années :  elles  concernaient  77  millions d’individus  en  1975,  150  à  la  fin  du  siècle  dernier,  190  au  début  du  nouveau  millénaire  et  244 millions aujourd’hui. Elles présentent des configurations différentes et les migrants actuels se sont diversifiés. Aux traditionnelles migrations Sud-Nord (famille, travail, asile) s’ajoutent les migrations Sud-Sud  (travail  et  asile),  les  migrations  Nord-Nord  (expatriés  qualifiés)  et  les  migrations  Nord-Sud  (seniors  en  quête  de  soleil  et  expatriés).  Le  Sud  est  devenu  une  région  d’émigration  mais aussi d’immigration et de transit.

En  2050,  la  population  mondiale  devrait  atteindre  9  à  10  milliards  d’habitants,  dont  la  moitié d’Asiatiques et un quart d’Africains. En Europe, le vieillissement démographique va certainement se traduire par une demande accrue de main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée, notamment dans le secteur des soins aux personnes âgées, tandis que le nombre de personnes venues poursuivre leurs   études   continuera   d’augmenter,   constituant   une   importante   source   de   main-d’œuvre qualifiée.    Autrement  dit,  les  migrations  ne  sont  pas  près  de  s’arrêter :  en  2015,  les  envois  de fonds vers les pays en développement ont dépassé 500 milliards de dollars.

L’ouverture  des  frontières,  appelée  à  devenir  l’une  des  questions  majeures  du  XXIe  siècle, demeure pour certains une utopie, pour d’autres un objectif susceptible de mettre fin aux tragédies des milliers de clandestins qui meurent aux portes des frontières des pays riches, ainsi qu’à toutes les  formes  de  sous-citoyenneté  induites  par  la  condition  de  sans-papiers.  […]  Des  espaces  de circulation   régionale   se   dessinent   aujourd’hui,   correspondant   aux   systèmes   migratoires régionalisés  qui  se  sont  spontanément  mis  en  place.

Ainsi,  dans  le  bassin  méditerranéen,  par exemple,  la  création  d’un  tel  espace  permettrait  des  complémentarités  démographiques  et  de main-d’œuvre.  […]  Mais  le  Vieux  Continent  restera-t-il  attractif  face  aux  États-Unis  ou  au Canada ?  Les  BRICS  (Brésil,  Russie,  Inde,  Chine,  Afrique  du  Sud),  de  leur  côté,  attirent  et recherchent  des  projets  pour  lesquels  l’immigration de  créateurs,  de  chercheurs,  d’innovateurs serait encouragée et donc légale. D’autres espaces de circulation régionaux ont été créés au Sud, mais ils fonctionnent mal ou ont cessé d’exister, du fait des crises politiques. »

 

Catherine WIHTOL DE WENDEN, Atlas des migrations, Paris, Autrement, 2016, p. 10-11

L’apport des « cerveaux » indiens aux Etats-Unis (2006)

« En ce début de XXIe siècle, l’Inde est identifiée au niveau mondial comme un pays ressource pour les migrations de personnes très qualifiées et éduquées, les travailleurs de la connaissance ainsi qu’on les a dénommés […], comprenant principalement les professionnels des technologies de l’information et les médecins. Cependant aux XIXe et XXe siècles, l’Inde était déjà un pays ressource mais pour une main d’œuvre peu qualifiée. Des paysans ont migré vers les économies de plantation dans la période coloniale, puis des travailleurs peu qualifiés vers les économies pétrolières dans la seconde moitié du siècle dernier. Le mouvement des travailleurs de la connaissance a été perçu de façon beaucoup plus négative que les migrations précédentes car il impliquait des coûts financiers, sociaux et politiques plus élevés pour les pays émetteurs. Les coûts de l’émigration des diplômés, qualifiée d’exode des cerveaux, ont tout d’abord été considérés financièrement comme un investissement perdu dans l’éducation. Deuxièmement, d’un point de vue social, il s’agissait d’une perte de qualification avec le départ de personnel formé. Enfin politiquement, l’exode de jeunes diplômés était aussi perçu comme [une] perte […]. Au regard de ces coûts, parfois difficilement quantifiables, les bénéfices de l’exode des cerveaux ont été faibles. Les principaux bénéfices identifiés ont été les remises monétaires, les transferts de technologies […] et/ou la migration de retour de ces Indiens plus éduqués et expérimentés lorsqu’elle avait lieu. […]

Les États-Unis, eux, pouvaient intégrer ces diplômés dans leur industrie électronique ou leur secteur de santé, après généralement un complément de formation universitaire. Si nous nous limitons [au] premier secteur, nous constaterons que les Indiens expatriés ont participé à l’émergence de la Silicon Valley. […] Le déficit de professionnels hautement qualifiés dans le domaine des technologies de l’information et de la communication a été comblé par des Chinois, des Taïwanais et des Indiens qui représentent aujourd’hui, 25 % des informaticiens de la [Silicon Valley]. À partir du début des années 80, ceux-ci ont également participé à la dynamique économique en créant leurs propres entreprises, pas moins de 3000, employant près de 70 000 personnes […].

Aujourd’hui nous sommes face à une équivalence inversée, les États-Unis s’inquiètent de la délocalisation des emplois de services alors que l’Inde accueille à bras ouverts les membres de sa diaspora qui reviennent au pays pour investir dans le secteur des technologies de l’information et de la communication. »

 

Binod KHADRIA, Eric LECLERC, « Exode des emplois contre exode des cerveaux, les deux faces d’une même pièce ? », Autrepart, 2006/1 (n° 37), p. 37-51

 

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