Antoine FLANDRIN, « L’histoire de France selon Macron », Le Monde, 16 septembre 2017.
Dans un article au titre évocateur – mais en même temps très vague, « L’histoire de France selon MACRON », le journaliste Antoine FLANDRIN, interrogeant l’historien Patrick GARCIA (IHTP), tente de cerner le rapport à l’histoire du président ou, plutôt, son utilisation du passé au service de ses actions et de sa communication politiques.
Au cours de la campagne présidentielle, le candidat MACRON avait mobilisé à plusieurs reprises le souvenir de la Première Guerre mondiale, répétant ses origines picardes, terre « où les cimetières [militaires] sont légion ». Pourtant, aucune référence à ses arrière-grands-pères, tous combattants de la Grande guerre (l’un d’eux, boucher originaire de Bristol en Grande-Bretagne, engagé volontaire dans la British Expeditionary Force, fut un héros de la bataille de la Somme et demeura dans la région d’Amiens après 1918).
Néanmoins, comme le souligne le journaliste, « depuis son élection à la présidence, Emmanuel MACRON a surtout investi la Seconde Guerre mondiale » :
-dans son « livre de campagne », Révolution, il affirme son admiration pour DE GAULLE et les résistants ;
-le 10 juin, il présidait la 73e cérémonie commémorant le massacre d’Oradour-sur-Glane ;
-le 18 juin, il célébrait au Mont-Valérien l’appel du général DE GAULLE ;
-rendu public fin juin, son portrait officiel fait figurer les Mémoires de guerre du général sur le bureau présidentiel ;
-le 16 juillet, il commémorait, avec le premier ministre israélien Benyamin NETANYAHOU, le 75e anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv.
Selon Patrick GARCIA, « Emmanuel MACRON aborde le passé en jeune homme avec l’idée que l’histoire est tragique. Il y a chez lui un désir de vérité comme condition de la sortie du ressassement, d’où l’envie de faire bouger les lignes ». Ainsi, le discours au Vél’ d’Hiv a replacé le racisme et l’antisémitisme dans une perspective plus large que les déclarations précédentes, de CHIRAC (1995) à HOLLANDE (2012), affirmant publiquement pour la première fois que ces pensées extrémistes étaient prégnantes bien avant le régime de Vichy en France, notamment au moment de l’Affaire Dreyfus.
« Plus qu’à l’Occupation ou à la Résistance, MACRON se réfère à la Libération, vue comme un acte fondateur avec le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) et les réformes du général DE GAULLE, qu’il considère comme des étapes capitales dans l’histoire de France. C’est un moyen pour lui d’affirmer la légitimité de l’intervention de l’État. Dans la mesure où il est taxé de libéral et où on le soupçonne de vouloir démanteler les grandes conquêtes de la Libération, cette référence lui permet d’affirmer qu’il ne bradera pas l’héritage » affirme pour sa part Olivier WIEVIORKA.
L’histoire au service de la communication politique et de la vision macronnienne de la France, en somme. Comme ses prédécesseurs, Emmanuel MACRON use d’un panel de références historiques très large, bien plus vaste que la Seconde Guerre mondiale, mêlant CLOVIS, HENRI IV, NAPOLÉON, DANTON, GAMBETTA, les soldats de l’An II, les tirailleurs sénégalais. « Déployer l’arc historique est [ainsi] une façon de sortir de l’hyperfocalisation du discours d’État sur les deux guerres mondiales, ajoute Patrick GARCIA. C’est aussi une manière de ne pas mettre seulement à l’agenda les pages noires – esclavage, collaboration, antisémitisme d’État de Vichy – et de produire les raisons d’une fierté française ». En outre, le but est aussi de récupérer l’ensemble de l’histoire nationale pour ne pas en laisser des pans à l’extrême-droite.
Pour Olivier LOUBES, la mobilisation de nombreux symboles historiques (on peut penser ici au discours de victoire devant le Louvre, symbole de l’Ancien Régime, ou encore de la rencontre avec Vladimir POUTINE à Versailles à l’occasion du 300e anniversaire du séjour de PIERRE LE GRAND en France) vient de la volonté du nouveau président de gouverner au centre : « C’est l’idée que la Révolution est terminée, qu’on n’a plus besoin d’être dans une guerre de cultures politiques entre gauche et droite. MACRON [qui fut l’assistant temporaire de Paul RICOEUR pour son ouvrage La mémoire, l’histoire, l’oubli publié en 2000] veut apaiser la France. D’où son projet de réconcilier les mémoires ». Jean-Noël JEANNENEY (qui publiera en octobre 2017 Le Moment MACRON. Un président et l’histoire) considère, au contraire, que « son idée de réconcilier les mémoires paraît un peu démiurgique. Il y aura toujours des mémoires de droite et de gauche, héritées de communautés, de familles et de régions. »