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Golda MEIR relate sa vision des premiers conflits israélo-arabes

Golda MEIR (1898-1978) est une femme politique qui compte parmi les 24 personnalités signataires de la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël le 14 mai 1948 à Tel-Aviv. Elle devient ensuite ministre des Affaires étrangères, puis quatrième Premier ministre d’Israël de 1969 à 1975.

 

Donc, nous étions maintenant un fait acquis. La seule question qui demeurât – et si incroyable que ce soit, elle n’est toujours pas résolue – était de savoir comment nous resterions en vie. Non pas « si », mais vraiment « comment ». Le matin du 15 mai, Israël était déjà l’objet d’agressions armées des Égyptiens au sud, des Syriens et des Libanais au nord et au nord-est, des Jordaniens et des Irakiens à l’est. Sur le papier, on eût dit, cette semaine-là, que les Arabes étaient fondés à se vanter d’écraser Israël dans les dix jours à venir.

L’avance la plus implacable était celle des Égyptiens – bien que, de tous nos envahisseurs, ce fussent ceux qui eussent certainement le moins à gagner. ABDALLAH1 avait sa raison ; elle était mauvaise mais elle existait et il pouvait la définir : il voulait le pays tout entier, et notamment Jérusalem. Le Liban et la Syrie avaient aussi leur raison : l’espoir d’être en mesure de se partager toute la Galilée2. L’Irak avait envie de participer au bain de sang et de prendre son petit bénéfice en acquérant une fenêtre sur la Méditerranée, à travers la Jordanie au besoin. Mais l’Égypte n’avait pas un seul vrai but de guerre, si ce n’est de piller et de détruire tout ce que les juifs avaient bâti. En fait, je n’ai jamais cessé de m’étonner de l’ardeur extrême des États arabes à partir en guerre contre nous. Presque du premier jour de la colonisation sioniste jusqu’à maintenant, ils n’ont jamais cessé de se consumer de haine pour nous. La seule explication plausible – et elle est ridicule – est qu’ils ne peuvent tout bonnement pas supporter notre présence et nous pardonner d’exister, et j’ai du mal à croire que les chefs de tous les États arabes aient toujours été si primitifs dans leur raisonnement, et le demeurent.

De notre côté, qu’avons-nous donc fait qui menace les États arabes ? C’est vrai, nous avons refusé de rendre les territoires conquis dans les guerres commencées par eux. Mais conquérir des territoires n’a, en définitive, jamais été le véritable but des agressions arabes. […] Qu’était-ce donc alors ? […] Qui peut le dire ? Quoi que ce fût et que ce soit, cela dure toujours – tout comme nous d’ailleurs – et l’on ne trouvera probablement pas la réponse avant bien des années, quoique je n’aie pas le moindre doute que le jour viendra où les États arabes nous accepteront, tels que nous sommes et pour ce que nous sommes. Bref, la paix dépend et a toujours dépendu, uniquement, d’une seule chose : il faut que les dirigeants arabes admettent notre présence ici.

 

1. Il s’agit d’ABDALLAH, roi de Jordanie de 1946 à 1951.
2. Région du nord d’Israël.

 

Golda MEIR, Ma vie, éditions Robert Laffont, 1975

Simone VEIL évoque « le grand silence »

Dernière d’une famille de quatre enfants (elle a un frère et deux sœurs, Madeleine – surnommée Milou – et Denise), Simone VEIL est déportée à Auschwitz en 1944. Ses parents et son frère mourront dans les camps. Dans son autobiographie parue en 2007, elle raconte son retour en France.

 

« Dès le retour des camps, nous avons ainsi entendu des propos plus déplaisants encore qu’incongrus, des jugements à l’emporte-pièce, des analyses géopolitiques aussi péremptoires que creuses. Mais il n’y a pas que de tels propos que nous aurions voulu ne jamais entendre. Nous nous serions dispensés de certains regards fuyants qui nous rendaient transparents. Et puis, combien de fois ai-je entendu des gens s’étonner: « Comment, ils sont revenus? Ça prouve bien que ce n’était pas si terrible que ça. » Quelques années plus tard, en 1950 ou 1951, lors d’une réception dans une ambassade, un fonctionnaire français de haut niveau, je dois le dire, pointant du doigt mon avant-bras et mon numéro de déportée, m’a demandé avec le sourire si c’était mon numéro de vestiaire! Après cela, pendant des années, j’ai privilégié les manches longues. […]

Le départ de DE GAULLE en janvier 1946 ne m’était pas apparu comme une catastrophe nationale. Il avait tellement voulu jouer la réconciliation entre les Français qu’à mes yeux les comptes de l’Occupation n’étaient pas soldés. Au procès de LAVAL, comme à celui de PETAIN, il n’y avait pas eu un mot sur la déportation. La question juive était complètement occultée. Du haut au bas de l’État, on constatait donc la même attitude: personne ne se sentait concerné par ce que les juifs avaient subi. […]

Pendant longtemps, [les déportés] ont dérangé. Beaucoup de nos compatriotes voulaient à tout prix oublier ce à quoi nous ne pouvions nous arracher ; ce qui, en nous, est gravé à vie. Nous souhaitions parler, et on ne voulait pas nous écouter. C’est ce que j’ai senti dès notre retour, à Milou et à moi : personne ne s’intéressait à ce que nous avions vécu. En revanche Denise, rentrée peu avant nous avec l’auréole de la Résistance, était invitée à faire des conférences. […]

La bonne mesure est impossible à trouver […]. Parler de la Shoah, et comment ; ou bien ne pas en parler, et pourquoi ? Eternelle question. [Les résistants] sont dans la position des héros, leur combat les couvre d’une gloire qu’accroît encore l’emprisonnement dont ils l’ont payée ; ils avaient choisi leur destin. Mais nous, nous n’avions rien choisi. Nous étions des victimes honteuses, des animaux tatoués. »

 

Simone VEIL, Une vie, Stock, 2007.

François MAURIAC juge l’épuration (1944)

Romancier français engagé dès 1941 dans la Résistance, François MAURIAC plaide auprès du général DE GAULLE la grâce d’un autre écrivain, Robert BRASILLACH (rédacteur en chef du journal collaborationniste et antisémite Je suis partout), condamné à mort et finalement fusillé le 6 février 1945.

 

« Il ne s’agit pas ici de plaider pour les coupables, mais de rappeler que ces hommes, ces femmes, sont des accusés, des prévenus, qu’aucun tribunal ne les a encore convaincus du délit ou du crime dont on les charge.

Oh, je sais bien : la Gestapo, la police de Vichy n’avaient pas de ces délicatesses. Mais justement ! Nous aspirons à mieux qu’un chassé-croisé de bourreaux et de victimes. Il ne faut à aucun prix que la IVe République chausse les bottes de la Gestapo […].

Je n’écris point ceci pour invoquer des prétextes, ni pour frustrer ceux des nôtres qui ont faim et qui ont soif de justice, du rassasiement auquel ils ont droit. Comment reculerait-il devant les exigences d’une justice stricte, celui qui a vu les enfants juifs pressés comme de pauvres agneaux dans des wagons de marchandises ? L’effrayant regard me poursuit encore, d’une femme dont le mari venait d’être abattu parmi d’autres otages ; et il y a cette lettre que je n’ose pas relire, où ma fille Claire raconte comment elle ferma les yeux de garçons fusillés et comment elle les ensevelit. Mais c’est cette rigueur nécessaire qui doit nous rendre encore plus scrupuleux. Il faut être assuré de frapper juste lorsque l’on est résolu à frapper fort. »

 

François MAURIAC, « La vraie justice », Le Figaro, 8 septembre 1944

PETAIN se justifie lors de son procès (juillet 1945)

« Pendant quatre années, par mon action, j’ai maintenu la France, j’ai assuré aux Français la vie et le pain, j’ai assuré à nos prisonniers le soutien de la Nation. Que ceux qui m’accusent et prétendent me juger s’interrogent du fond de leur conscience pour savoir ce que, sans moi, ils seraient peut-être devenus.
Pendant que le général DE GAULLE, hors de nos frontières, poursuivait la lutte, j’ai préparé les voies de la libération, en conservant une France douloureuse, mais vivante. […]
Malgré d’immenses difficultés, aucun pouvoir n’a plus que le mien honoré la famille et, pour empêcher la lutte des classes, cherché à garantir les conditions du travail à l’usine et à la terre. […]
Je représente une tradition qui est celle de la civilisation française et chrétienne, face aux excès de toutes les tyrannies. »

 

Déclaration du Maréchal PETAIN à son procès, 23 juillet 1945 (texte complet)

Un exemple de témoignage d’après-guerre au Tribunal de Nuremberg (1946)

En 1942, Marie-Claude VAILLANT-COUTURIER (devenue députée communiste à l’Assemblée constituante en 1945) est arrêtée par la police française pour sa participation à la Résistance, puis livrée à la Gestapo et enfin déportée à Auschwitz et Ravensbrück. Témoignant au tribunal de Nuremberg, elle est interrogée ici par Charles DUBOST du ministère public français.

 

« Mme VAILLANT-COUTURIER. – Je suis arrivée le 20 mars à la prison de la Santé, au quartier allemand. J’ai été interrogée le 9 juin 1942. À la fin de mon interrogatoire, on a voulu me faire signer une déclaration qui n’était pas conforme à ce que j’avais dit. Comme j’ai refusé de la signer, l’officier qui m’interrogeait m’a menacée, et comme je lui ai dit que je ne craignais pas la mort ni d’être fusillée, il m’a dit : « Mais nous avons à notre disposition des moyens bien pires que de fusiller les gens pour les faire mourir », et l’interprète m’a dit :  » Vous ne savez pas ce que vous venez de faire. Vous allez partir dans un camp de concentration allemand ; on n’en revient jamais ». […] En quittant la Santé le 20 août 1942, j’ai été conduite au fort de Romainville, qui servait de camp d’otages. Là, j’ai assisté deux fois à des prises d’otages, le 21 août et le 22 septembre. Parmi les otages emmenés, il y avait les maris des femmes qui se trouvaient avec moi et qui sont parties pour Auschwitz ; la plupart y sont mortes. Ces femmes, pour la plupart, n’étaient arrêtées qu’à cause de l’activité de leur mari ; elles n’en avaient aucune elles-mêmes.

M. DUBOST. – Vous êtes partie à Auschwitz à quel moment ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Je suis partie pour Auschwitz le 23 janvier et arrivée le 27.

M. DUBOST. – Vous faisiez partie d’un convoi ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Je faisais partie d’un convoi de 230 Françaises. Il y avait parmi nous Danielle CASANOVA, qui est morte à Auschwitz, Maï POLITZER, qui est morte à Auschwitz, Hélène SOLOMON. Il y avait de vieilles femmes…

M. DUBOST. – Quelle était leur condition sociale ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Des intellectuelles, des institutrices, un peu de toutes les conditions sociales. Maï POLITZER était médecin : elle était la femme du philosophe Georges POLITZER. Hélène SOLOMON était la femme du physicien SOLOMON ; c’est la fille du professeur LANGEVIN. Danielle CASANOVA était chirurgien-dentiste et elle avait une grande activité parmi les femmes ; c’est elle qui a monté un mouvement de résistance parmi les femmes de prisonniers.

M. DUBOST. – Combien êtes-vous revenues sur 230 ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – 49. […] Le voyage était extrêmement pénible, car nous étions 60 par wagon et l’on ne nous a pas distribué de nourriture ni de boissons pendant le trajet. Comme nous demandions aux arrêts aux soldats lorrains enrôlés dans la Wehrmacht qui nous gardaient si l’on arrivait bientôt. ils nous ont répondu : « Si vous saviez où vous allez, vous ne seriez pas pressées d’arriver ». […] Nous sommes arrivées à Auschwitz au petit jour. On a déplombé nos wagons et on nous a fait sortir à coups de crosses pour nous conduire au camp de Birkenau, qui est une dépendance du camp d’Auschwitz, dans une immense plaine, qui, au mois de janvier était glacée… […] On nous a conduites dans une grande baraque, puis à la désinfection. Là, on nous a rasé la tête et on nous a tatoué sur l’avant-bras gauche le numéro matricule. Ensuite, on nous a mises dans une grande pièce pour prendre un bain de vapeur et une douche glacée. Tout cela se passait en présence des 58, hommes et femmes, bien que nous soyons nues. Après, on nous a remis des vêtements souillés et déchirés, une robe de coton et une jaquette pareille. […] À ce moment-là, les commandos de travail d’hommes sont rentrés. Derrière chaque commando, il y avait des hommes qui portaient des morts. Comme ils pouvaient à peine se traîner eux-mêmes, ils étaient relevés à coups de crosses ou à coups de bottes, chaque fois qu’ils s’affaissaient…

M. DUBOST. – Je vous demande pardon, pouvez-vous décrire les scènes de l’appel ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Pour l’appel, on était mis en rangs, par cinq, puis nous attendions jusqu’au jour [les détenues étaient réveillées à trois heures et demie du matin] que les Aufseherinnen, c’est-à-dire les surveillantes allemandes en uniforme, viennent nous compter. Elles avaient des gourdins et elles distribuaient, au petit bonheur la chance, comme ça tombait, des coups. Nous avons une compagne, Germaine RENAUD, institutrice à Azay-le-Rideau, en France, qui a eu le crâne fendu devant mes yeux par un coup de gourdin, durant l’appel. Le travail à Auschwitz consistait en déblaiements de maisons démolies, constructions de routes et surtout assainissement des marais. C’était de beaucoup le travail le plus dur, puisqu’on était toute la journée les pieds dans l’eau et qu’il y avait danger d’enlisement. Il arrivait constamment qu’on soit obligé de retirer une camarade qui avait enfoncé parfois jusqu’à la ceinture. Durant tout le travail, les SS hommes et femmes qui nous surveillaient nous battaient à coups de gourdins et lançaient sur nous leurs chiens. Nombreuses sont les camarades qui ont eu les jambes déchirées par les chiens. Il m’est même arrivé de voir une femme déchirée et mourir sous mes yeux, alors que le SS TAUBER excitait son chien contre elle et ricanait à ce spectacle. Les causes de mortalité étaient extrêmement nombreuses. Il y avait d’abord le manque d’hygiène total. Lorsque nous sommes arrivées à Auschwitz, pour 12 000 détenues, il y avait un seul robinet d’eau non potable, qui coulait par intermittence. Comme ce robinet était dans les lavabos allemands, on ne pouvait y accéder qu’en passant par une garde de détenues allemandes de droit commun, qui nous battaient effroyablement. Il était donc presque impossible de se laver ou de laver son linge. Nous sommes restées pendant plus de trois mois sans jamais changer de linge ; quand il y avait de la neige, nous en faisions fondre pour pouvoir nous laver. Plus tard, au printemps, quand nous allions au travail, dans la même flaque d’eau sur le bord de la route, nous buvions, nous lavions notre chemise ou notre culotte. Nous nous lavions les mains à tour de rôle dans cette eau polluée. Les compagnes mouraient de soif, car on ne distribuait que deux fois par jour un demi-quart de tisane.

[Mme VAILLANT-COUTURIER parle ensuite du bloc 25, où les Allemands envoyaient les détenues faibles ou mourantes : elles étaient destinées à la chambre à gaz.]

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Ce bloc 25, qui était l’antichambre de la chambre à gaz – si l’on peut dire – je le connais bien, car, à cette époque, nous avions été transférées au bloc 26 et nos fenêtres donnaient sur la cour du 25. On voyait les tas de cadavres, empilés dans la cour, et, de temps en temps, une main ou une tête bougeait parmi ces cadavres, essayant de se dégager : c’était une mourante qui essayait de sortir de là pour vivre. La mortalité dans ce bloc était encore plus effroyable qu’ailleurs, car, comme c’étaient des condamnées à mort, on ne leur donnait à manger et à boire que s’il restait des bidons à la cuisine, c’est-à-dire que souvent elles restaient plusieurs jours sans une goutte d’eau.  Un jour, une de nos compagnes, Annette EPAUX, une belle jeune femme de trente ans, passant devant le bloc, eut pitié de ces femmes qui criaient, du matin au soir, dans toutes les langues : « À boire, à boire, à boire, de l’eau ». Elle est rentrée dans notre bloc pour chercher un peu de tisane, mais, au moment où elle la passait par le grillage de la fenêtre, la Aufseherin l’a vue, l’a prise par le collet et l’a jetée au bloc 25. Toute ma vie, je me souviendrai d’Annette EPAUX. Deux jours après, montée sur le camion qui se dirigeait à la chambre à gaz, elle tenait contre elle une autre Française, la vieille Line PORCHER, et au moment où le camion s’est ébranlé, elle nous a crié : « Pensez à mon petit garçon, si vous rentrez en France ». Puis elles se sont mises à chanter la Marseillaise. […] Une autre cause de mortalité et d’épidémie était le fait qu’on nous donnait à manger dans de grandes gamelles rouges qui étaient seulement passées à l’eau froide après chaque repas. Comme toutes les femmes étaient malades, et qu’elles n’avaient pas la force durant la nuit de se rendre à la tranchée qui servait de lieux d’aisance et dont l’abord était indescriptible, elles utilisaient ces gamelles pour un usage auquel elles n’étaient pas destinées. Le lendemain, on ramassait ces gamelles, on les portait sur un tas d’ordures et, dans la journée, une autre équipe venait les récupérer, les passait à l’eau froide, et les remettait en circulation…

M. DUBOST. – Voulez-vous préciser ce qu’était le Revier dans le camp ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Le Revier était les blocs où l’on mettait les malades. On ne peut pas donner à cet endroit le nom d’hôpital, car cela ne correspond pas du tout à l’idée qu’on se fait d’un hôpital. Pour y aller, il fallait d’abord obtenir l’autorisation du chef de bloc, qui la donnait très rarement. Quand enfin on l’avait obtenue, on était conduit en colonne devant l’infirmerie où, par tous les temps, qu’il neige ou qu’il pleuve, même avec 40° de fièvre, on devait attendre plusieurs heures, en faisant la queue, pour être admise. Il arrivait fréquemment que des malades meurent dehors, devant la porte de l’infirmerie, avant d’avoir pu y pénétrer. Du reste, même de faire la queue devant l’infirmerie était dangereux car, lorsque cette queue était trop grande, le SS passait, ramassait toutes les femmes qui attendaient et les conduisait directement au bloc 25.

M. DUBOST. – C’est-à-dire à la chambre à gaz ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – C’est-à-dire à la chambre à gaz. C’est pourquoi très souvent les femmes préféraient ne pas se présenter au Revier, et elles mouraient au travail ou à l’appel. Après l’appel du soir, en hiver, quotidiennement, on relevait des mortes qui avaient roulé dans les fossés. Le seul intérêt du Revier, c’est que, comme on était couché, on était dispensé de l’appel, mais on était couché dans des conditions effroyables, dans des lits de moins d’un mètre de large à quatre, avec des maladies différentes, ce qui faisait que celles, qui étaient entrées pour des plaies aux jambes, attrapaient la dysenterie ou le typhus de leur voisine. Les paillasses étaient souillées, on ne les changeait que quand elles étaient complètement pourries. Les couvertures étaient si pleines de poux qu’on les voyait grouiller comme des fourmis… […] Il n’y avait pour ainsi dire pas de médicaments, on laissait donc les malades couchées, sans soins, sans hygiène, sans les laver… […]

Il y avait à Auschwitz une maison de tolérance pour les SS et également pour les détenus, fonctionnaires hommes, qu’on appelait des « Kapo ». D’autre part, quand les SS avaient besoin de domestiques, ils venaient, accompagnés de la Oberaufseherin, c’est-à-dire la commandante femme du camp, choisir pendant la désinfection et ils désignaient une petite jeune fille que la Oberaufseherin faisait sortir des rangs. Ils la scrutaient, faisaient des plaisanteries sur son physique et, si elle était jolie et leur plaisait, ils l’engageaient comme bonne avec le consentement de la Oberaufseherin qui leur disait qu’elle leur devait une obéissance absolue, quoi qu’ils lui demandent.

M. DUBOST. – Pourquoi venaient-ils pendant la désinfection ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Parce qu’à la désinfection, les femmes étaient nues.

M. DUBOST. – Ce système de démoralisation et de corruption était-il exceptionnel ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Non, dans tous les camps où j’ai passé, le système était le même ; j’ai parlé à des détenues venues de camps où je n’avais pas été moi-même, et c’est toujours la même chose. Le système est exactement le même dans n’importe quel camp. »

Déposition de Marie-Claude VAILLANT-COUTURIER devant le Tribunal de Nuremberg, 28 janvier 1946, texte extrait de L. SAUREL, Le procès de Nuremberg, Éditions Rouff, 1965, p. 149-155.

 

La cause féministe aux élections législatives de 1978

Gisèle HALIMI est avocate et féministe. Elle est fondatrice de l’association « Choisir la cause des femmes » avec Simone DE BEAUVOIR en 1971.

 

« En 1978, j’entraînai « Choisir » dans les élections législatives purement féministes. En dehors de tous les partis que nous jugions nuls ou insuffisants pour les droits des femmes, nous présentâmes « 100 femmes pour les femmes ». Délicieux souvenirs de meetings aux salles combles, de discours émouvants de nos candidates novices (beaucoup s’exprimaient pour la première fois en public), du succès particulier auprès des médias étrangers.

Notre programme commun des femmes, publié comme soutien à notre campagne, fourmillait de propositions féministes concrètes. Je me souviens, surtout, de cette solidarité si forte et si gaie qui nous souda toutes dans cette campagne peu commune. Nous créâmes des élections d’un « genre » – dans tous les sens du mot – nouveau, singulier.

Combattues par la droite (l’avortement, la libération des femmes) et par la gauche (nous la mettions, disaient nos chefs, en danger), nous fûmes isolées.

Notre aventure se solda par un échec électoral, mais nous enrichit prodigieusement. Nous avions osé, nous avions dit aux femmes d’oser. Rejetée, l’indifférence des partis. Sanctionnée, l’ignorance de la cause des femmes. Les féministes avaient levé l’étendard et parlé. Les professionnels de la politique enregistraient, dans tous les cas, une défaite. Nous avions refusé la résignation et le silence. »

 

Gisèle HALIMI, Ne vous résignez jamais, Plon, 2009.

Aurélien, un expatrié français à Sydney (Le Monde, 2012)

A 32 ans, Aurélien LABONNE a fui le chômage et la grisaille parisienne pour la « belle vie » à Sydney. Visa en poche, il a décroché un job bien payé dans une start-up. […]

 

« Avec plus de vingt années consécutives de croissance et un taux de chômage d’environ 5% […], l’Australie est à part. Au point que les immigrants s’y pressent pour goûter les fruits du boom économique : des Asiatiques venus de Corée du Sud ou de Chine, mais aussi beaucoup d’Européens, dont énormément d’Irlandais et de Britanniques. Quant aux Français, ils sont eux aussi de plus en plus nombreux à tenter leur chance . Au printemps, lors des élections présidentielles et législatives, il y avait ainsi huit bureaux de vote à travers le pays pour les Français expatriés, contre deux, dix ans auparavant. Après avoir décroché un master d’administration des entreprises en 2006 à Paris, (Aurélien LABONNE) s’engage dans un master en multimédia, au terme duquel il effectue un stage en entreprise. « Je savais qu’il n’y aurait pas d’offre d’emploi à la sortie de mon stage,c’est pourquoi j’ai décidé d’aller à l’étranger ». […]
Il n’a fallu qu’un mois et demi à Aurélien LABONNE pour se faire embaucher comme responsable du site Web d’une petite entreprise avec, à la clé, un visa sponsorisé, sésame pour pouvoir rester en Australie plus d’un an […]. Le jeune parisien a ensuite décidé de changer d’entreprise. Il travaille désormais dans une start-up, et ne regrette pas son choix : « je suis dans une jeune société, qui a démarré il y a tout juste huit mois. En France, je n’aurais pas osé, je me serais demandé si l’entreprise avait les reins solides » […]. Quant à son salaire, il a doublé entre Paris et Sydney. « Je gagnais 39 000 euros par an dans la banque où j’ai travaillé, alors qu’actuellement c’est 82 000 dollars [67 000 euros], ce qui reste un niveau de salaire moyen ».[…]
Avec son amie, une expatriée française qu’il a rencontrée à Sydney, Aurélien LABONNE a commencé à visiter des maisons à vendre pour investir dans l’immobilier. Le reste du temps, il profite de la vie à l’australienne, du soleil, de la plage, et d’un quotidien qu’il estime plus doux qu’en France. « Ici, c’est la belle vie. Le cadre est exceptionnel. Les gens sont gentils et beaucoup moins agressifs qu’à Paris, quant aux opportunités de travail, elles sont beaucoup plus nombreuses ». »

 

Marie-Morgane LE MOËL, « Les expatriés de la crise de l’euro », Le Monde, 26 juillet 2012

Une vision subjective de la guerre d’Algérie par le FLN au lendemain de l’indépendance

« Pendant sept ans et demi d’une guerre cruelle, le peuple algérien a tenu tête à l’une des plus fortes puissances coloniales du siècle : plus d’un million de soldats français ont été mobilisés à cet effet avec tout leur armement moderne : aviation, artillerie, blindé, marine.

La France est arrivée à dépenser jusqu’à trois milliards de francs par jour. Elle a tenté, avec l’aide d’une grande partie du peuplement européen en Algérie, de lutter désespérément pour le maintien de l’Algérie française. Face à cette puissance, qu’avait à opposer le peuple algérien ? D’abord sa foi en la justesse de sa cause, la confiance en lui-même et en ses destinées et la volonté inébranlable de briser les chaînes du colonialisme : ensuite et surtout, son unanimité dans la lutte. Les Algériens – hommes et femmes, jeunes et vieux, d’Alger à Tamanrasset et de Tébessa à Mamia – se sont dressés dans leur totalité dans la guerre de libération. […]

Cette lutte a été d’un précieux enseignement pour les peuples subjugués par l’impérialisme. Elle a détruit le mythe de l’invincibilité de l’impérialisme. Tout en conduisant à la libération de l’Afrique, elle a démontré qu’un peuple, aussi petit soit-il, et avec des moyens réduits, peut tenir tête à un impérialisme même très puissant et arracher sa liberté. »

 

Proclamation de Benyoucef BENKHEDDA (président du Gouvernement provisoire de la République algérienne) au nom du Front de libération nationale (FLN), 19 mars 1962

Une gouvernance globale sans gouvernement global (STIGLITZ, 2006)

« C’est […] un lieu commun d’observer que la mondialisation se développe et qu’il en résulte une intégration plus grande des pays du monde qui, du coup, se rapprochent les uns des autres. Ce rapprochement [est] rendu possible par l’abaissement des coûts de transport [et] de communication. […]
Le problème est que cette action collective exige des mécanismes de prise de décision, que nous pouvons nommer « gouvernance », pour exister. Mais le système international qui s’est développé depuis des décennies […] est un système de gouvernance globale sans gouvernement global. […] Il existe cependant un réseau complexe d’arrangements internationaux, qui, pris ensemble, forment la gouvernance mondiale. Ce réseau comprend de nombreux traités internationaux (par exemple ceux de Montréal et de Kyoto) et un ensemble de lois internationales […]. Qui plus est, de nombreuses décisions touchant à l’économie mondiale sont prises dans le cadre des institutions internationales des Nations Unies, notamment le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le problème vient de ce que, faute d’un véritable gouvernement mondial, ces institutions sont gravement défaillantes. Pour commencer, les institutions internationales sont non-démocratiques. […] Au FMI, dont les décisions affectent des millions de personnes de par le monde, un seul pays possède le droit de veto : les Etats-Unis. Les droits de vote sont déterminés par l’étendue du pouvoir économique, telle que fixée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à quelques ajustements près faits depuis. Ceci explique pourquoi les pays qui font aujourd’hui, et plus encore demain, la croissance mondiale, y sont sous-représentés. »

 

Joseph STIGLITZ (économiste américain, proche des idées de KEYNES, prix Nobel d’économie en 2001 ; économiste en chef de la Banque mondiale jusqu’en 2000, il se montre critique vis-à-vis du FMI et de la Banque mondiale), « Biens publics et finance globale : la gouvernance mondiale est-elle au service de l’intérêt général ? » in Promouvoir les biens publics, Paris, 2006.

La construction européenne et l’élargissement résumés par un commissaire européen (2011)

« Après être passée de six membres dans les années 1950 à 27 membres depuis 2007, l’Union européenne (UE) compte maintenant plus de 500 millions d’habitants. S’étendant de l’Atlantique à la mer Noire, elle réunit désormais les régions occidentales et orientales de l’Europe.
La Communauté économique européenne avait été créée pour favoriser la paix et la stabilité du continent, et l’objectif de l’UE conserve aujourd’hui toute la pertinence qu’il avait alors. De nouveaux membres se sont joints à l’aventure et l’UE est devenue plus prospère, plus forte et plus influente.
La politique d’élargissement de l’UE fait de l’Europe un espace plus sûr, l’accent étant mis sur la consolidation de l’État de droit, tout en favorisant la démocratie et les libertés fondamentales dans tous les pays candidats, qui sont nos voisins immédiats. L’élargissement nous permet de promouvoir nos valeurs, de défendre nos intérêts et de jouer notre rôle d’acteur mondial.
Nous défendons les valeurs qui unissent l’Europe au-delà de nos frontières, sur une scène internationale marquée par les changements et les incertitudes. Une Union qui développe la coopération entre d’anciens rivaux tout en faisant respecter les normes les plus strictes en matière de droits de l’homme maintient l’influence nécessaire pour façonner le monde qui l’entoure. »

 

Stefan FÜLE, commissaire européen chargé de l’élargissement et de la politique européenne de voisinage (2010-2014), extrait de la préface de la brochure éditée par la Commission européenne, Comprendre l’élargissement. La politique d’élargissement de l’Union européenne, 2011.