L’Ethiopie, nouvelle usine du monde ? (Le Monde, 2017)

« Peter WAN a le sourire jusqu’aux oreilles. Le quinquagénaire avance gaiement dans de grands hangars, où des dizaines d’ouvriers éthiopiens s’affairent près de machines à filer et à colorer du fil. « Nous en sommes au stade des essais de production », précise le consultant, en faisant visiter l’usine chinoise JP Textile, à l’entrée du parc industriel d’Hawassa, à 270 km au sud de la capitale éthiopienne, Addis-Abeba.

Bientôt, la main-d’œuvre transformera le fil « importé de Chine » en tissu, explique M. WAN. Puis le tissu prendra la forme de chemises made in Ethiopia, qui porteront les marques Calvin Klein ou Tommy Hilfiger, pour être exportées vers l’Europe et les États-Unis à l’attention d’une clientèle aisée. Mais s’il est officiellement opérationnel, ce parc, construit par les Chinois en neuf mois seulement, n’a pas encore commencé à exporter.

Ce projet de 220 millions d’euros est une nouvelle preuve de l’industrialisation accélérée de l’Éthiopie. La Chine, son premier partenaire commercial, est la locomotive de ce processus : construction, transports, télécommunications, Pékin investit tous azimuts dans ce grand pays de la Corne de l’Afrique, le deuxième le plus peuplé du continent, avec près de 100 millions d’habitants. La Chine a construit la nouvelle voie ferrée entre Addis-Abeba et Djibouti, qui entrera en service en octobre.

Privée d’accès à la mer depuis l’indépendance de son voisin érythréen, en 1993, l’Éthiopie a besoin de Djibouti, petit État où transitent 95 % de ses exportations. Pékin mise aussi sur ce débouché maritime incontournable, au carrefour entre l’Afrique de l’Est, l’Asie, l’Europe et la péninsule Arabique, dans le cadre de son projet des « nouvelles routes de la soie ». […]

Pays majoritairement agricole, l’Ethiopie a décidé de devenir le « hub » industriel de l’Afrique. […] Pour l’instant, le secteur manufacturier ne représente que 5 % du PIB. Il faut donc aller vite. […]

Le président de JP Textile sait de quoi il parle […] « L’Ethiopie a deux avantages », détaille-t-il. D’une part, une énergie abondante et à bas coût, issue des projets hydroélectriques du pays. D’autre part, la possibilité de jouir d’exempltions fiscales, notamment grâce à l’African Growth and Opportunity Act.

Non sans ironie, cette loi américaine permet à certains pays africains, dont l’Ethiopie, d’être dispensés de droits de douane sur un ensemble de marchandises exportées outre-Atlantique afin de favoriser leur développement économique. « Tout le monde sait que les Etats-Unis sont le plus gros importateur de textile à travers le monde », se réjouit M. WANG. […]

Autre atout de taille : une main d’oeuvre jeune, abondante et bon marché. « Le coût du travail est le plus bas au monde », s’enthousiasme M. WANG. Comme la Chine d’il y a trente ans. Mais aujourd’hui, chez le géant asiatique, le salaire moyen est désormais de plus de 700 euros, trop pour demeurer l’usine du monde. L’avenir de la Chine passe donc par l’Ethiopie, où n’existe pas de salaire minimum. Chez JP Textile, par exemple, la plupart des ouvriers sont rémunérés moins de 30 euros par mois. […]

Enfin, malgré des atouts alléchants, l’environnement des affaires est complexe en Éthiopie et les coûts de transport élevés. »

 

Emeline WUILBERCQ, « L’Ethiopie, nouvelle usine du monde », Le Monde, 11 août 2017