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Robert PAXTON revient sur les évolutions de la recherche portant sur Vichy depuis les années 1970

Avant 1981, l’historien américain Robert PAXTON travaillait à partir d’archives américaines et allemandes. En 1981, les archives françaises ouvrent aux chercheurs une partie des fonds du régime de Vichy.

 

« J’écrivais à l’époque [en 1972], d’une façon un peu schématique (et faute d’avoir pu accéder aux rapports préfectoraux) que l’opinion française de 1940 était presque unanimement favorable au maréchal PETAIN, et celle de 1944 presque unanimement favorable au général DE GAULLE. […] Depuis, l’étude attentive et nuancée que Pierre LABORIE a consacrée* aux rapports de police, aux écoutes téléphoniques et au contrôle du courrier à Toulouse a montré que, dans le cas de Toulouse au moins, les réserves à l’égard du gouvernement de Vichy étaient, dès le début, plus largement répandues que je ne l’avais supposé. […] Il vaut aussi la peine de souligner que l’opinion publique a constamment distingué entre le maréchal PETAIN et son gouvernement […]. Le durable prestige personnel du maréchal continuera à légitimer ce que faisait son gouvernement alors que sa politique suscitait depuis longtemps déjà de larges doutes. […] Dans La France de Vichy, j’avais déjà esquissé la thèse que je devais développer par la suite (en 1981) avec Michel MARRUS, dans Vichy et les Juifs : plus personne ne peut contester que les premières mesures antijuives de 1940 relevaient d’une initiative purement française, ni que ce soit Vichy lui-même qui a insisté en 1942 pour coopérer à la déportation des Juifs vers l’Est. »

 

* Pierre LABORIE est un historien français ; PAXTON évoque ici l’ouvrage de ce dernier, L’Opinion publique sous Vichy, publié en 1990.

 

Robert PAXTON, avant-propos à la 2nde édition de La France de Vichy. 1940-1944, Le Seuil, 1997 (1ère édition de 1972 traduite en 1973).

Robert PAXTON et la polémique autour de La France de Vichy

« A l’automne 1960, étudiant à Harvard, j’arrivais à Paris pour entamer ma thèse d’histoire sur le corps des officiers dans la France de Vichy. Bien que seize ans seulement se soient écoulés depuis la Libération, je croyais naïvement qu’un historien pouvait étudier la France de l’Occupation avec la même liberté que la guerre de Sécession1. […]

Il a suffi d’une visite au Service historique de l’armée de terre (château de Vincennes), où je comptais consulter les archives de l’armée d’armistice (celle que Vichy avait été autorisé à conserver), pour que la réalité me rattrape brutalement. Les blessures de l’Occupation étaient encore si douloureuses que, loin de stimuler la recherche historique, elles l’inhibaient : on m’informa que les archives devaient rester closes cinquante ans. […]

J’ai tout de même réussi à trouver des archives sur la question, celles des Allemands. Quand je me suis plongé dans les télégrammes et les notes envoyés quotidiennement à Berlin […], je me suis aperçu que les postulats que soutenait L’histoire de Vichy de Robert ARON, l’ouvrage de référence dans ces années-là, ne correspondaient pas à ce que j’étais en train de lire. […]

Henry ROUSSO² a fort bien décrit les doutes que mon livre a suscités dans une grande partie du public et chez quelques universitaires. Certains esprits l’on accueilli favorablement, soit qu’ils fussent déjà prédisposés à condamner Vichy, soit que 1968 les eût préparés à remettre en question les comportements des générations antérieures, soit que le film de Marcel OPHÜLS (1970) les eût sensibilisés aux complexités et aux ambiguïtés des années d’Occupation. Ceux qui l’ont rejeté étaient non seulement les apologistes3 de Vichy mais aussi une large fraction de l’opinion qui, sans être pétainiste, croyait ce que PETAIN avait dit à son procès sur son appui secret aux Alliés et sur sa stratégie du « bouclier » pour protéger le peuple français du mieux qu’il le pouvait. »

1 – La guerre de Sécession (1861-1865) est une guerre civile opposant les États confédérés du Sud et les « Fédéraux » du Nord. Elle constitue une page sombre de l’histoire américaine.

2 – Henry ROUSSO, ancien directeur de l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) est un historien français qui a notamment publié en 1987 Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours.

3 – Personnes qui glorifiaient le régime de Vichy.

Extraits issus de l’avant-propos de l’ouvrage de Robert O. PAXTON, La France de Vichy 1940-1944, 1999 (première édition francophone en 1973).