Quelques éléments de synthèse des relations entre les Etats-Unis et le continent américain

« En novembre 2013, tout juste nommé secrétaire d’État, John KERRY lance devant les membres de l’Organisation des États d’Amérique que « la doctrine Monroe est révolue » […] La doctrine Monroe nous replonge en 1823. À écouter le président américain James MONROE, les États-Unis n’ont pas vocation à conquérir l’Amérique latine mais simplement à soutenir les mouvements d’émancipation nationale, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes face aux appétits des puissances européennes. […] En réalité, sous couvert de défense des nouveaux États-nations d’Amérique latine, le slogan « l’Amérique aux Américains » masque mal l’ambition impérialiste des États-Unis sur leur continent – même si cette dernière reste discrète jusqu’au crépuscule du XIXe siècle. […]
Après la Seconde Guerre mondiale, l’impératif de la Guerre froide laisse entrevoir le retour de la « big stick policy »1. […] C’est notamment en 1954 l’intervention concertée du gouvernement américain, de la CIA et de United Fruit2 qui conduit au coup d’État de Castillo ARMAS qui renverse le président guatémaltèque ARBENZA, coupable d’avoir entamé une réforme agraire mettant en péril les intérêts de United Fruit. En 1960, la révolution cubaine puis la rupture des relations diplomatiques entre La Havane et Washington est un choc. Non seulement l’Amérique ne parvient pas à renverser le régime castriste – souvenons-nous du fiasco de la baie des Cochons – mais en plus le nouveau régime se rapproche de l’URSS et promet de diffuser la révolution sur l’ensemble du continent. L’Alliance pour le progrès de KENNEDY paraît inefficace au couple NIXON/KISSINGER qui, pour endiguer le communisme dans les années 1970, préfère une politique plus proactive, qui passe par le soutien secret à l’opération Condor3. […]
Sous CARTER le ton change. Bien décidé à respecter partout les droits de l’homme, le nouveau président américain (1977-1981) abandonne cette politique des coups tordus. Cela se traduit notamment par l’annonce du retour à la souveraineté du Panama sur le canal. Mais le retour au pouvoir des républicains avec Ronald REAGAN (1981-1989) marque une reprise des interventions directes ou indirectes sur le continent. Économiquement d’abord : la crise de la dette au Mexique en 1982 puis dans de nombreux autres pays du sous-continent implique un interventionnisme fort (quoiqu’indirect) des États-Unis via le FMI et la Banque mondiale. La mainmise est ainsi idéologique : le consensus de Washington4 s’abat sur le continent. Militairement ensuite : en octobre 1983, Reagan ordonne l’invasion de l’île de Grenade dans les Antilles où un coup d’État en 1979 avait amené au pouvoir un gouvernement marxiste-léniniste. […]
Mais c’est surtout la démocratisation de l’Amérique latine et la fin de la Guerre froide qui bouleversent les relations entre les États-Unis et le reste de l’Amérique. Dans les années 2000, à la suite du virage à gauche de l’Amérique latine, les États-Unis paraissent perdre la main sur un continent qu’ils ont délaissé dans les années 1990, la menace communiste s’étant alors évanouie. Le projet de marché commun américain allant de l’Alaska à la Terre de feu […], imaginé par George H. BUSH en 1992, est enterré. […] Ne reste qu’un premier tronçon inauguré en 1994 : l’ALENA, zone de libre-échange nord-américaine ne concernant que le Canada, les États-Unis et le Mexique. […]
Les nations latino-américaines ont abandonné les politiques économiques dites « du consensus de Washington », privilégiant dans un premier temps une affirmation clairement nationaliste qui s’est traduite par des vagues de nationalisations ou des prises de contrôle direct par l’État de sociétés publiques en Argentine, en Bolivie et au Venezuela. Toutefois, elles construisent également des organisations régionales autonomes des États-Unis : ALBA (Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique), CALC (Sommet d’Amérique latine et de la Caraïbe), UNASUR (Union des nations d’Amérique du Sud). […] Mais si l’Amérique latine se détourne alors des États-Unis, ce n’est pas uniquement en raison de l’élection de majorités de gauche. Il y a aussi la montée en puissance de la Chine, qui constitue désormais le partenaire économique d’avenir pour la région. »

 

1 – Big stick policy : « politique du gros bâton », c’est-à-dire l’action militaire directe.
2 – United Fruit : entreprise américaine de production et de commerce de fruits exotiques.
3 – Opération Condor : opération de soutien aux dictatures anti-socialistes et anti-communistes.
4 – Consensus de Washington : ensemble de mesures libérales imposées aux pays en difficulté économique pour bénéficier des aides financières de la Banque Mondiale et du FMI, deux institutions financières internationales installées à Washington.

 

Thomas SNÉGAROFF et Alexandre ANDORRA, Géopolitique des États-Unis, Presses Universitaires de France, 2016, p. 122, 123 et 124