Paul REYNAUD se souvient de la crise de 1929

A partir de 1927, […] les cours des actions montent en flèche à la bourse de New York. Du début de 1927 à octobre 1929, ils haussent de 130 à 218 (indices de l’Annalist). Avec des bénéfices prodigieux faits en dormant, les propriétaires de ces titres accroissent leur train de vie. Ils achètent, achètent […]. Mais […], les cours des matières premières et notamment des produits agricoles ont commencé à fléchir. Ce sont les nuages noirs qui s’amoncellent à l’horizon. L’orage va éclater. En 1929, l’industrie de l’automobile commença à être touchée. […] Quelques jours après, c’est le 24 octobre 1929 […] de la Bourse de New York d’où les brokers [les courtiers] sortaient avec des vêtements déchirés et des faux cols arrachés. Les cours s’étaient effondrés.

Ce fut le coup de gong qui annonça aux nations l’ouverture de la crise mondiale, l’un des plus grands événements de l’histoire du monde par les conséquences que nous allons lui voir produire. On assista alors à une baisse profonde des prix, surtout des prix agricoles […]. Autour du globe, les pays agricoles ruinés ne purent acheter les produits des pays industriels qui furent ruinés à leur tour. Ces deux géants, le travailleur agricole et le travailleur industriel, se trouvèrent debout, face à face, les bras croisés avec, à leurs pieds, leurs stocks invendus.

Aux États-Unis, la production s’effondra. De 1929 à 1933, celle de l’acier tomba de 56 à 13 millions de tonnes. Le pourcentage de chômeurs monta de 8,2 % à 24,3 % (12 millions de chômeurs). De 1929 à 1932, les exportations tombèrent de 5,2 milliards de dollars à 1,6 milliard. Celles à destination de l’Europe, de 2,3 milliards à 784 millions. De février 1929 à fin 1932, le prix du blé tomba de 1 dollar à 35 cents le boisseau, « cours le plus bas depuis Christophe COLOMB », disaient les manchettes de journaux. Les fermiers devinrent incapables de payer leurs dettes hypothécaires. On vendit leurs biens sur saisie. Les banques qui leur avaient fait des prêts s’écroulèrent par milliers. Lorsqu’en avril 1933, le président ROOSEVELT arriva au pouvoir, les fermiers empêchaient par la force les ventes sur saisie, renversaient les bidons de lait à l’entrée des villes et des mitrailleuses étaient même apparues. Des chômeurs s’improvisaient marchands de pommes dans les rues de New York. Des agressions avaient lieu dans les jardins publics. La révolution grondait. La crise atteignit le monde entier. L’ouvrier métallurgiste américain de Pittsburg, le planteur de café brésilien, l’artisan de Paris et le banquier de Londres, tous furent frappés.

 

Paul REYNAUD (1878-1966), La France a sauvé l’Europe, Flammarion, 1947.