Shanghai : l’exemple d’une métropolisation accélérée (2010)

« Shanghai   est   apparue   ces   dernières   années   comme   l’une   des   principales métropoles émergentes de notre monde. Elle incarne, avec Pékin, le retour en force de la Chine sur la scène internationale […]. Le trait dominant de la modernisation de Shanghai est certainement sa rapidité. Il y a seulement vingt ans, la ville-centre gardait les témoignages urbains et architecturaux de la période  moderne,  celle  des  concessions  étrangères  et  d’un  premier  essor  entre  les années  1910  et 1940.  Aujourd’hui,  elle  se  donne  l’aspect,  toujours  plus  évident,  d’une métropole de rayonnement mondial. […]

Le développement économique contourne la ville en Chine dans les années 1980. Il se   concentre   dans   des   zones   franches   (zones   économiques   spéciales,   zones   de développement économique et technique) ou dans des régions littorales d’industrialisation rurale, comme le delta de la rivière des Perles.

La  création  de  la  Nouvelle  Zone  de  Pudong  à  Shanghai,  en  1990,  symbolise  la  fin d’une telle politique […].  Pudong,  à  l’est  de  l’agglomération  héritée,  sur  la  rive  droite  du Huangpu,  comprend  le  quartier  d’affaires  de  Lujiazui,  plusieurs  zones  économiques ouvertes aux investisseurs étrangers […], le nouveau port de Waigaoqiao à l’embouchure du  Yangzi – doublé aujourd’hui  par  celui  de  Yangshan  au  sud-est  de  la  municipalité – et l’aéroport international de Pudong.

Au-delà même des intérêts  économiques, Pudong est surtout un gigantesque projet urbanistique.  Il  entend  souligner  la  vocation  métropolitaine  de  Shanghai  à  travers  des réalisations  urbaines  prestigieuses  :  de  très  imposantes  liaisons  par  ponts  au-dessus  du Huangpu […] ; l’édification de tours à Lujiazui (Perle de l’Orient, 1994 ; Jinmao, 1999 ; Centre financier mondial de Shanghai, 2008), à l’origine d’un nouveau front de mer face au Bund, façade historique de la ville portuaire de l’époque moderne  ; la mise en service d’un train magnétique  à  grande  vitesse de  conception  allemande,  le  Maglev,  depuis  l’aéroport en  2004.  Par  ailleurs,  Pudong  se  couvre  de  réalisations  immobilières,  qu’il  s’agisse  de tours de bureaux ou de résidences collectives de différents standings. […] Enfin,  lancée  dans  une  logique  de  marketing  urbain  à  l’échelle  de  la  Chine – en concurrence  avec  Pékin  et  Hong  Kong – mais  aussi  à  celle du  réseau  des  grandes métropoles  asiatiques  voire  mondiales,  Shanghai  développe  des  infrastructures  à  même d’accueillir  des  manifestations  de  rayonnement  international  :  le  circuit  destiné  au  Grand Prix de Chine de formule 1 et les opérations urbaines au sud du centre-ville […] en vue de l’Exposition universelle de 2010. […]

Un double mouvement, bien connu des métropoles mondiales, s’engage rapidement à   Shanghai   dans   les   années   1990   :  une   tertiarisation   de   l’économie   au   sein   de l’agglomération   centrale,   avec   une   délocalisation   des   industries   dans   des   zones économiques   périphériques,   et   une   gentrification   urbaine,   entraînant   de   nouvelles ségrégations  sociospatiales,  désormais  directement  liées  au  niveau  de  revenu  des familles.

Entre  1990  et  2000,  les  arrondissements  de la  ville-centre  perdent jusqu’à  10  %  de leur  population  officiellement  résidente.  Un  grand  nombre  d’habitants  sont  en  effet poussés à migrer dans les banlieues immédiates ou dans des villes nouvelles périurbaines […].

Shanghai  connaît  déjà les  défis  de  la  ville  mondiale  de  demain.  Les  questions  de développement  durable  émergent  avec  une  même  rapidité.  La  métropole  chinoise,  lieu d’enrichissement et de ségrégation, illustre ainsi étonnamment l’avenir de la ville asiatique, voire de la ville tout court, dans un processus de mondialisation. »

 

Thierry SANJUAN, « Shanghai : l’exemple d’une métropolisation accélérée », Constructif, n° 26, juin 2010