Londres, les métamorphoses d’une capitale (Le Monde, 2012)

« En 2012, Londres est à l’affiche partout, grâce au jubilé de diamant de la reine ELIZABETH II (du 3 au 5 juin) et à l’organisation des Jeux olympiques (du 27 juillet au 12 août). Dans ces circonstances, l’élection, le 3 mai, du maire de cette métropole de 7,8 millions d’habitants prend un relief particulier. […]
Quels sont les rapports de forces politiques dans la capitale ? Londres est traditionnellement une ville de gauche de par la forte présence d’une population de condition modeste qu’atteste un taux de chômage (9 %) supérieur à la moyenne nationale, surtout parmi les jeunes des quartiers déshérités. Ce bastion du Labour constitue une exception dans le sud-est prospère de l’Angleterre, contrôlé par les conservateurs. […] Aujourd’hui, la droite est favorisée par l’irrésistible poussée d’une nouvelle élite sociale qui envahit le West End (centre), rejetant les perdants aux confins, voire en dehors de la capitale à coups de spéculation immobilière. Le coût de la vie élevé, le manque de HLM et l’essor des services au détriment de la petite industrie renforcent cette tendance.
Quel rôle joue la City ? […] Fondée en 1067, elle constitue un contre-pouvoir de poids au maire. Avec un million d’emplois directs et indirects, la finance est l’un des plus gros employeurs de la capitale britannique. Ce secteur phare fait tourner toute une série d’industries (commerce de luxe, immobilier, bâtiment, etc.). Cette enclave d’un peu moins de 300 hectares, qui abrite la plus forte densité planétaire de banques, possède un vaste patrimoine, un large parc immobilier, plusieurs ponts sur la Tamise, le complexe culturel Barbican Centre, l’école de commerce Cass Business School et la colline boisée d’Hampstead. […] L’une des principales attributions du maire de Londres consiste à défendre la première place financière mondiale contre les projets de régulation du G20 et de Bruxelles ou contre la rivalité des centres concurrents, en particulier New York. […]
Quel est l’impact des Jeux olympiques sur la ville ? Il y a sept ans, à Singapour, Londres a obtenu les Jeux olympiques de 2012 grâce à son projet de rénovation de l’Est, en particulier autour de l’ancienne zone industrielle de Stratford. La majorité des 100 000 contrats d’embauche pour ces Jeux ont été attribués aux habitants des cinq boroughs concernés, parmi les plus pauvres du royaume.
L’organisation des JO a accentué le rééquilibrage du centre de gravité de la capitale de l’Ouest élégant vers l’Est crasseux. Cette image ancestrale est en train de changer. Dans les années 1980-1990, l’expansion de l’aéroport d’Heathrow et de l’autoroute du Sud-Ouest (M4), l’explosion des services financiers ainsi que l’excellence de la ligne de métro Central Line, qui relie les quartiers chics à la City, avaient favorisé l’Ouest. A la même époque, l’hémorragie de la classe moyenne de l’Est vers les faubourgs du Nord, l’installation d’immigrés du tiers-monde démunis et la disparition des industries traditionnelles avaient accentué le déclin d’un secteur associé aux ghettos, à la pauvreté, à la violence.

Cette division s’est atténuée. La rénovation des anciens docks, l’allongement de la ligne de métro Jubilee jusqu’à la nouvelle cité financière de Canary Wharf, la construction du futur réseau régional express (Crossrail) tout comme le nouveau terminal Eurostar de Saint Pancras illustrent l’essor nouveau de cette zone. L’éclosion des quartiers branchés de Shoreditch et de Dalston, ainsi que le succès du « Silicon Roundabout », consacré à la haute technologie et aux industries de demain, donnent le la de la diversité ethnique et de la mixité sociale.

Grâce aux JO, l’East End se construit, se rénove et se régénère. Et le projet de développement du corridor de la Tamise sur une cinquantaine de kilomètres, entre Londres et l’estuaire du fleuve, devrait créer une tête de pont vers l’Europe. »

 

Marc ROCHE, « Londres : les métamorphoses d’une capitale », Le Monde, 21 avril 2012