Le transport maritime dans le monde : transformations économiques et géographiques (2016)

« C’est une redistribution des cartes qui se dessine (et se confirme) dans le fret maritime en Méditerranée. Au gré de la croissance du commerce mondial, la conteneurisation est en train de changer les rapports de force entre les plateformes portuaires de la région. […] L’Organisation maritime mondiale (OMI) estime que 3 000 navires commerciaux franchissent chaque jour le détroit de Gibraltar dont un tiers de porte-conteneurs. […] La boîte, qu’elle soit de 20 pieds (EVP) ou de 40 pieds, est devenue le contenant le plus usité, ce qui autorise une mécanisation totale de la manutention des ports, […]. Ainsi, quand un méga porte-conteneurs fait escale à Malte avec un chargement de plus de 4 500 boîtes, il ne faut pas plus d’une quinzaine d’heures pour débarquer 800 et en charger 200. Après ce transbordement, le navire reprendra sa route vers les ports d’Europe du Nord via Gibraltar. Avec l’entrée en service de TangerMed II, ce rythme sera dépassé dans le complexe portuaire du détroit. […]
Les vrais maîtres du jeu ne sont plus les caboteurs* ou les ports mais les armateurs de porte-conteneurs. En vingt ans, les entreprises d’armement maritime sont devenues de très grandes multinationales, […] qui gèrent des réseaux mondiaux. Pour répondre par exemple à la demande des fabricants de jouets, de produits chimiques, de meubles ou d’ordinateurs, les armateurs se sont regroupés pour fournir un service complet, régulier, de l’usine au magasin et à jours fixes.
La guerre entre les armateurs spécialisés dans le conteneur a bouleversé l’économie traditionnelle du commerce en Méditerranée. Face au recul de leur position, les acteurs historiques (Marseille, Le Pirée, Barcelone, etc.) se sont trouvés dans l’obligation d’investir et de se réinventer au prix de douloureux ajustements et de conflits sociaux. De nouvelles puissances portuaires émergentes comme Malte, Gioia Tauro (Italie), Algésiras (Espagne) et TangerMed se sont affirmées comme d’authentiques compétiteurs. Le port de Malte est parvenu à accueillir plus de 1.900 navires par an dont 700 gros porte-conteneurs. Logiquement, les armements placent leurs hubs sur les routes qui sont les mieux alimentées. Sur la grande route est-ouest qui relie les différents pôles de la Triade (Europe, Etats-Unis et Asie du Sud), on peut estimer que 60 % des conteneurs circulent dans les deux sens des flux entre l’Europe et l’Asie. Avec 60 millions de boîtes, les échanges euro-asiatiques devancent depuis une décennie déjà le puissant axe Asie-Amérique : 20,3 millions d’EVP. C’est donc sur cette route Europe-Asie, et particulièrement en Méditerranée, où la tentation de développer des hubs est forte. »

 

*Caboteur : bateau transportant des marchandises sur une courte distance.

 

Abdelaziz GHOUIBI, « Trafic conteneur : la cartographie change », L’économiste (journal économique marocain), n°4808, 4 juillet 2016