Le pétrole, enjeu et arme au Moyen-Orient depuis le début du XXe siècle
« C’est en 1908 que l’on a commencé à soupçonner la présence de pétrole dans la région avec la découverte de gisements en Perse (Iran). L’exploitation débute en Irak en 1937. Dans les années 1930, c’est au tour de la péninsule arabique. […]
Ces concessions sont détenues par sept grandes « majors » pétrolières : cinq sociétés américaines, British Petroleum (Grande-Bretagne) et Shell (Grande-Bretagne et Pays-Bas). […] C’est durant la Seconde Guerre mondiale que les États-Unis, premier consommateur au monde, découvrent la valeur de l’immense potentiel saoudien. […] Les stratèges du plan Marshall font du pétrole du Moyen-Orient l’un des éléments essentiels de la reconstruction économique de l’Europe d’après-guerre. […]
La rente pétrolière augmente ainsi très rapidement. Au Koweït, on passe de 800 000 dollars en 1946 à 217 millions en 1954 ! Cette croissance est liée à la hausse de la production mais aussi à une meilleure répartition des revenus de la rente. Le Moyen-Orient combine à la fois les coûts de production les plus bas et les réserves de pétrole les plus importantes du monde. En 1956, la crise de Suez entraîne un relèvement des prix. Le retour à la normale et la hausse de la production mondiale provoquent un mouvement en sens inverse dès 1959-1960. Les pays exportateurs tentent de s’y opposer en constituant, en 1960, à Bagdad, l’organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) : au total 13 pays qui contrôleront au début des années 1970 plus de 85 % des exportations mondiales de pétrole.
La guerre israélo-arabe de juin 1967 bouleverse la situation. Le canal de Suez est à nouveau fermé, ce qui rallonge les circuits d’acheminement du pétrole du Golfe. […] Les pays producteurs ne se contentent pas d’augmenter les prix affichés.
Ils remettent en cause le système des concessions. À partir de 1971, les pays socialistes arabes comme l’Algérie, la Libye et l’Irak nationalisent les compagnies présentes sur leur territoire ; les pays conservateurs, eux, passent par un système de prise de participation croissante. […]
Lors de la guerre du Kippour en 1973, la réduction de la production conduit à un quadruplement du prix affiché en quelques semaines. Ce premier choc pétrolier entraîne une hausse vertigineuse de la rente pétrolière. […] La révolution iranienne de 1979 et la guerre Irak-Iran en 1980 provoquent un second choc pétrolier. Le prix du baril atteint 32 dollars en 1980. […] Le pétrole devient une matière première ordinaire soumise à une intense spéculation.
La fin des prix affichés, la diminution de la demande mondiale et surtout le développement de la production en dehors des pays de l’OPEP (mer du Nord, Alaska, Union soviétique) entraînent un contre-choc pétrolier : les pays du Golfe reviennent à des revenus réels proches d’avant le premier choc pétrolier. L’Arabie saoudite réplique en augmentant brutalement sa production. […]
L’OPEP tente d’enrayer la chute en s’imposant des quotas de production. Mais plusieurs pays du Golfe ne les respectent pas. L’invasion du Koweït en 1990 est en partie liée à l’impossibilité pour l’Irak de restaurer sa position de producteur majeur au lendemain de la guerre avec l’Iran en raison du non-respect des quotas. L’Arabie saoudite, qui contrôle le marché mondial, interdit l’existence d’un troisième choc pétrolier. La guerre du Golfe a fait perdre à l’Irak, sous embargo dès l’invasion du Koweït, sa place de producteur essentiel.
Après les « médiocres » années 1990, les années 2000, grâce à la hausse de la consommation mondiale et surtout aux importations de grands pays émergents (Chine, Inde), voient une montée continue du prix du pétrole. La région connaît un boom économique. […] L’euphorie dure jusqu’en 2008. Puis c’est l’effondrement avec la crise financière mondiale. »
Henry LAURENS, « Le pétrole : une malédiction ? », Les Collections de l’Histoire, n°69, octobre 2015, p. 60-63