Le Manifeste des Dix pour la parité (1996)

« Pourquoi des femmes venues d’horizons divers, aux engagements parfois opposés, ont-elles décidé d’unir leurs voix ?
Ayant en commun d’avoir eu ou d’exercer actuellement des responsabilités publiques, nous voulons, alors que se profile le prochain millénaire dans un monde incertain et une France inquiète, lancer cet appel pour l’égalité des chances et des droits entre hommes et femmes […]. Si les femmes sont en effet citoyennes à l’égal des hommes par leur nombre dans l’électorat et le niveau de leur participation aux scrutins, cette parité ne se retrouve pas, loin s’en faut, dans la proportion d’élus. Cinquante ans après l’instauration du droit de vote des femmes en France, seulement 5% d’entre elles sont sénateurs ou maires, 6% députés ou conseillers généraux. Le scrutin proportionnel améliore sensiblement la représentation féminine, avec 12% des conseillers régionaux et 30% des parlementaires européens. Parmi 20 grands pays développés d’Europe et d’Amérique du Nord, le nôtre est bon dernier pour la représentation des femmes au Parlement, loin derrière les Etats scandinaves, l’Allemagne, l’Espagne. Si bien que, dans l’Union européenne, la France est la lanterne rouge pour la proportion de femmes élues.
Ce n’est pas tout. Seuls 6% des postes « laissés à la discrétion du gouvernement » sont occupés par des femmes: 2,6% des préfets, 2% des ambassadeurs, 5,5% des directeurs d’administration centrale. Sans parler des directions d’entreprises ou d’établissements publics […].
Après les grandes avancées juridiques des années 70 et 80, il est évident que le mouvement vers l’égalité marque le pas, quand il n’y a pas régression. Et la crise aidant, les femmes sont apparemment plus silencieuses sur leurs revendications « spécifiques ». Pourtant, elles ne sont pas dupes. Elles savent ou pressentent qu’elles sont les premières touchées par les licenciements et le chômage, total ou partiel, et que les écarts de salaires persistent, sans parler de l’accès aux postes de décision […].
Voici les mesures que nous proposons:
1 – Une politique volontariste des partis, du gouvernement et des associations féminines conjugués. Les pays nordiques montrent l’efficacité de cette attitude. Quand il le faut, ils n’hésitent pas à utiliser les quotas […]. L’adoption d’un scrutin proportionnel, même partiel pour les législatives, renforcerait cette obligation de quotas […].
2 – Une limitation drastique du cumul des mandats et des fonctions, pour un meilleur partage et exercice du pouvoir. […].
3 – Un financement des partis politiques en fonction du respect de la parité de leurs instances dirigeantes et de leurs élus.
4 – Une nomination volontaire à des postes de responsabilité qui dépendent de l’État et du gouvernement, en se fondant sur un principe de parité.
5 – Une adoption d’une législation sur le sexisme comparable à celle sur le racisme, permettant aux associations de droits de l’homme et de la femme ainsi qu’aux individus d’ester [c’est à dire exercer une action] en justice civilement ou pénalement.
6 – Et s’il faut modifier la Constitution pour introduire des discriminations positives, nous y sommes favorables, comme l’est, nous en sommes persuadées, la majorité de nos concitoyens.
7 – Alors, sur ce sujet, pourquoi pas un référendum ? »

 

Tribune de Michèle BARZACH [ancienne ministre de la Santé et de la Famille], Frédérique BREDIN [ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports], Edith CRESSON [ancienne Première ministre], Hélène GISSEROT [procureure générale], Catherine LALUMIERE [ancienne secrétaire d’Etat], Véronique NEIERTZ [députée de la Seine-Saint-Denis], Monique PELLETIER [ancienne ministre déléguée à la Condition féminine], Yvette ROUDY [ancienne ministre des Droits de la femme], Catherine TASCA [ancienne ministre déléguée à la Communication], Simone VEIL [ancienne ministre de la Santé], publiée dans l’hebdomadaire L’Express du 6 juin 1996