Jacques CHIRAC reconnaît la responsabilité de l’État dans la déportation des Juifs (1995)

« Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays.
Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l’on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l’horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de honte.
Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français.
Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis.
Ce jour-là, dans la Capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs, furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police.
On verra des scènes atroces: les familles déchirées, les mères séparées de leurs enfants, les vieillards – dont certains, anciens combattants de la Grande Guerre, avaient versé leur sang pour la France – jetés sans ménagement dans les bus parisiens et les fourgons de la Préfecture de Police.
On verra, aussi, des policiers fermer les yeux, permettant ainsi quelques évasions. […]
La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. […]
Certes, il y a les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France n’a jamais été à Vichy. Elle n’est plus, et depuis longtemps, à Paris. Elle est dans les sables libyens et partout où se battent des Français libres. Elle est à Londres, incarnée par le Général DE GAULLE. Elle est présente, une et indivisible, dans le cœur de ces Français, ces «Justes parmi les nations» qui, au plus noir de la tourmente, en sauvant au péril de leur vie, comme l’écrit Serge KLARSFELD, les trois-quarts de la communauté juive résidant en France, ont donné vie à ce qu’elle a de meilleur. Les valeurs humanistes, les valeurs de liberté, de justice, de tolérance qui fondent l’identité française et nous obligent pour l’avenir. »

Allocution du président de la République, Jacques CHIRAC, prononcée lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942, 16 juillet 1995