TEXTES » Texte de géographe »

Quelques données sur Londres, une métropole globale

« Capitale du Royaume-Uni et ancienne capitale impériale, Londres figure aux premiers rangs des îles à vocation de commandement mondial, rôle qu’elle esquissait dès le 18e siècle […]. Depuis les années 1980, la métropole s’est inscrite [dans] et a donné une impulsion à un réseau planétaire de villes qui transcende aujourd’hui les frontières nationales […].

Les savoir-faire dans les domaines du commerce, du négoce et de l’assurance assurent à Londres un rôle de marché mondial outre son rôle de commandement économique (sièges sociaux), d’innovation culturelle, scientifique et d’administration nationale. Londres est une ville-capitale de rang global avec pour hinterland* le monde et non plus le seul Royaume-Uni.

Londres est devenue la première place bancaire par la concentration de près de 550 banques étrangères. La capitalisation boursière du marché des actions de la métropole est équivalente à celle des principales bourses européennes combinées. Qui plus est, le London Stock Exchange est la bourse la plus internationalisée au monde bénéficiant des accumulations historiques et des liens que le Royaume-Uni a tissés au cours des deux derniers siècles […].

La métropole est par ailleurs, de très loin, le premier marché des changes, avec un chiffre d’affaires équivalent à 460 milliards d’euros échangés quotidiennement, plus que New York et Tokyo réunies. Premier marché pour les métaux (Metal Exchange) et l’affrètement maritime, la métropole est enfin le marché de l’assurance et de la réassurance le plus important au monde en termes de revenus. Même si le Royaume-Uni n’est plus une grande puissance, l’accumulation capitaliste lui a permis de conserver de grands groupes à l’échelle mondiale […]. Ils sont loin d’être isolés, puisque près du tiers des plus grandes compagnies européennes a élu domicile à Londres […].

Enfin, les entreprises londoniennes sont les plus connectées avec leurs homologues étrangères, ce qui révèle le degré d’internationalisation de Londres à l’échelle mondiale. »

 

*Hinterland : arrière-pays.

 

Manuel APPERT, « Londres : métropole globale », in Geocarrefour Vol. 8, 3/2, 2008

La révolution des métropoles globales

« Le rôle que joue une métropole dépend d’une multitude de facteurs. Il n’existe donc pas d’archétype de métropole globale, mais plutôt des métropoles globales qui se différencient les unes des autres en formant des réseaux urbains variés au sein desquels les villes qui comptent dans le monde interagissent. […]
Au-delà de leurs différences, les métropoles mondiales partagent toutefois certaines similitudes. D’une part, elles concentrent les activités stratégiques et les fonctions de décision, de maîtrise et de création de l’économie globalisée, notamment les services spécialisés de haut niveau, tels que la finance et les services aux entreprises. On y trouve tout ce qui permet l’élaboration, l’organisation, le financement et la maîtrise des opérations économiques complexes qu’exige la globalisation de l’économie. D’autre part les métropoles globales allient à ces fonctions économiques des connexions planétaires dont la variété et le nombre servent d’étalon pour mesurer leur puissance relative. Étroitement reliées les unes aux autres grâce aux technologies de l’information et de la communication et aux transports à grande vitesse, elles forment des réseaux de coordination à l’échelle mondiale, réseaux qui interagissent entre eux de manière quasi instantanée. Ces villes sont les centres de la coordination de l’économie globale. […] Nées des nombreux changements qui ont traversé nos sociétés depuis les années 1970, les métropoles globales sont la marque la plus éclatante de la nouvelle configuration spatiale des activités économiques à l’échelle du monde.
La « Révolution » de l’information et de la communication et l’émergence de la proximité virtuelle – qui permet tout en étant géographiquement éloigné et sans avoir besoin de se déplacer pour interagir, d’être proche de quelqu’un ou d’un service – constitue un bouleversement technologique de premier ordre. »

 

Lise BOURDEAU-LEPAGE, « Un monde polycentrique et métropolisé », in Questions internationales – les villes mondiales, n°60 (La Documentation française), mars-avril 2013.

La géographe Sylvie BRUNEL questionne le dynamisme de l’Afrique (2012)

Sacrée terre du XXIe siècle par Jean-Joseph BOILLOT dans Chindiafrique. La Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain (2013), le continent est plutôt ici considéré comme la terre des défis insurmontés (mais pas insurmontables) par Sylvie BRUNEL (qui publiera en 2014 un ouvrage au titre identique à cet article : L’Afrique est-elle si bien partie ?).

 

« L’Afrique est devenue dans les médias le continent qui gagne. Elle semble, c’est vrai, avoir amorcé ses Trente Glorieuses. Un taux de croissance et des investissements étrangers directs qui rappellent ceux de la Chine au début des années 2000, l’intégration de l’Afrique du Sud dans les fameux BRICS, un désendettement exemplaire, une classe moyenne équivalente à celle de l’Inde (300 millions de personnes), plus de 500 millions de téléphones portables en circulation… Les attributs de l’émergence semblent enfin réunis.

Le continent présente des avantages comparatifs uniques dans la mondialisation, qui lui donnent une réserve de croissance considérable. La moitié des terres arables inemployées dans le monde et la faiblesse des rendements – moins d’une tonne de céréales à l’hectare -laissent espérer un potentiel d’accroissement de la production qui pourrait mettre fin à l’insécurité alimentaire du tiers de sa population.

Grenier potentiel et futur atelier du monde, avec 1 milliard de personnes qui ne demandent qu’à pouvoir travailler et consommer, enjeu géopolitique de premier plan dans l’accès aux matières premières, l’Afrique semble très bien partie, démentant les prédictions alarmantes de René DUMONT dans les années 1960.

Pourtant, l’engouement qu’elle suscite aujourd’hui paraît aussi aveugle que l’était le catastrophisme d’hier, lorsque la fin de la guerre froide vit l’effondrement des États, minés par la crise de la dette, et la chute de l’aide publique au développement. Car les lignes de faiblesse du continent demeurent : aujourd’hui, la croissance africaine n’est pas durable. L’ampleur des inégalités internes crée des tensions sociales d’autant plus fortes que les réseaux de communication et d’information mettent directement en contact des univers autrefois cloisonnés. Les Africains « du dedans « , principalement citadins, branchés sur l’économie mondiale, vivent sur une autre planète que ces Africains « du dehors  » que sont les ruraux. Deux tiers de la population continue de dépendre des ressources naturelles. Or le réservoir rural persiste à s’accroître plus rapidement que les villes, malgré leur croissance rapide. 500 millions de paysans manquent de tout et vivent dans l’insécurité foncière et économique, à la merci des caprices du ciel. Alors qu’à Maputo, en 2003, les chefs d’État avaient pris l’engagement de consacrer 10 % de leur budget à l’agriculture, moins de 10 (sur 54 pays !) ont respecté leur engagement.

Le chaudron démographique bouillonne ainsi dans un continent où l’urbanisation accélérée constitue plus le symptôme des difficultés agricoles que la conséquence de la modernisation agraire. Alors que l’Europe du XIXe siècle a pu se délester de 50 millions de migrants, cette soupape de sécurité est refusée à une Afrique en voie de densification rapide. Dans les villes, des cohortes de jeunes – deux tiers de la population a moins de 25 ans -rongent leur frein et leur rancœur, prompts à enfourcher toutes les révoltes. Dans les campagnes, l’insécurité alimentaire précarise des millions de personnes, qui ne demanderaient qu’à saisir les opportunités économiques… si elles leur étaient offertes.

Mais voilà, la corruption et le clientélisme compromettent le développement durable : une grande partie des financements abondamment déversés sur l’Afrique continue d’être détournée. La sanctuarisation des territoires au nom de l’urgence écologique marginalise les pauvres. Et le discours victimaire tenu par trop d’élites conduit à rejeter sur l’extérieur et le passé la responsabilité des erreurs de gestion interne. Hier perçue comme un recours, la Chine subit à son tour l’ostracisme et les accusations de pillage, comme s’il fallait à tout prix trouver des boucs émissaires.

L’Afrique ne sera bien partie que lorsqu’elle répartira mieux la manne des financements, quels qu’ils soient, et saura mettre en œuvre des politiques sociales dignes de ce nom, au lieu d’exploiter la rente de l’argent facile, qu’il soit humanitaire ou pétrolier. Elle reste un continent riche peuplé de pauvres, où chaque aléa naturel fonctionne comme un révélateur des dysfonctionnements politiques. Que valent les immenses richesses africaines quand plus de la moitié de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté en n’en percevant que de dérisoires miettes ? »

 

Sylvie BRUNEL, « L’Afrique est-elle si bien partie ? », Les Échos, 3 octobre 2012.

1 2