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Un ancien proche de ROOSEVELT témoigne sur le New Deal

Raymond MOLEY a participé aux premiers temps du New Deal aux côtés de ROOSEVELT. Il rompt avec ce dernier à partir de l’été 1933 et se range dans le camp des Républicains conservateurs. Il est opposé aux mesures sociales du deuxième New Deal.

Le sauvetage des banques de 1933 a probablement été le tournant de la Dépression. Quand les gens ont été capables de survivre au choc que fut la fermeture des banques, qu’elles ont rouvert et qu’ils ont vu que leur argent était protégé, la confiance a commencé à revenir. […]

Pendant les cent premiers jours du Congrès de 1933, les gens ne savaient pas ce qui se passait. Ils ne comprenaient pas ces projets qui étaient votés à toute vitesse. Ils savaient que quelque chose se passait, et que c’était bien pour eux. Ils ont commencé à réinvestir et à avoir de nouveau espoir.

Les gens ne se rendent pas compte que ROOSEVELT a choisi un banquier conservateur comme secrétaire au Trésor et un conservateur du Tennessee comme secrétaire d’État. La plupart des réformes qui ont été adoptées auraient eu l’aval de HOOVER s’il avait eu le pouvoir de les faire passer. […]

Le premier New Deal a rompu radicalement avec la vision américaine. Il a donné plus de pouvoir au gouvernement central. À l’époque, c’était nécessaire, surtout dans le domaine agricole […]. Mais il n’y avait aucune nécessité de réorganiser l’industrie. […]

Le second New Deal, c’est autre chose. C’est avec lui qu’a commencé mon désenchantement. ROOSEVELT n’a pas suivi de ligne politique particulière à partir de 1936. L’économie a commencé lentement à décroître – et le chômage à augmenter – jusqu’en 1940. […] C’est la guerre qui a sauvé l’économie et ROOSEVELT.

 

Raymond MOLEY, ancien conseiller de ROOSEVELT, témoignage recueilli par Studs TERKEL, Hard Times. Histoires orales de la Grande Dépression, 1970.

Franklin D. ROOSEVELT annonce des mesures économiques dès son investiture

Les prix sont tombés à des niveaux inimaginables ; les impôts ont augmenté ; […] les feuilles mortes des entreprises industrielles jonchent partout le sol ; les fermiers ne trouvent plus de marchés pour leurs produits, et pour des milliers de familles l’épargne de plusieurs années s’est évaporée. Plus important, une foule de citoyens sans emploi doit résoudre le terrible problème de sa survie, et à peu près autant triment pour un salaire misérable. […] L’étendue de cette remise en état dépend de l’intensité avec laquelle nous ferons valoir des valeurs sociales plus précieuses que le seul profit matériel. […] Cette nation a besoin d’action, d’action tout de suite.

Notre première tâche, la plus importante, est de remettre les gens au travail. […] Cela peut être accompli en partie par un recrutement direct du gouvernement, en traitant le problème comme nous traiterions l’urgence d’une guerre, mais en accomplissant dans le même temps, grâce à ces emplois, les grands projets dont nous avons besoin pour stimuler et réorganiser l’utilisation de nos immenses ressources naturelles. […] Oui, la tâche peut être soutenue par des efforts précis en vue d’élever les valeurs des produits agricoles, et en conséquence le pouvoir d’acheter les productions de nos villes. […] Elle peut être soutenue par l’unification des activités de secours qui aujourd’hui sont souvent éparpillées, peu économiques et inégales. Elle peut être soutenue par une planification nationale et une supervision de toutes les formes de transports et de communications ainsi que d’autres équipements qui ont définitivement un caractère public. Il y a de nombreuses manières de la soutenir, mais se contenter d’en parler n’en fera jamais partie.

 

Franklin D. ROOSEVELT, discours d’investiture, 4 mars 1933.

Léon BLUM s’adresse aux Français le 5 juin 1936

Le gouvernement de Front Populaire est constitué [les partis de gauche ont remporté les élections législatives de mai 1936]. […]

Le gouvernement se présentera dès demain devant les Chambres. Dès aujourd’hui, il veut prendre contact avec le pays. Son programme est le programme de Front Populaire. Parmi  les  projets  dont  il  annoncera  le  dépôt  immédiat  et  qu’il  demandera  aux  deux  Chambres  de voter avant leur séparation figurent : la semaine de quarante heures ; les contrats collectifs ; les congés payés. C’est-à-dire les principales réformes réclamées par le monde ouvrier.

Il est donc résolu à agir avec décision et rapidité, pour les travailleurs de la terre comme pour les travailleurs des usines. Il  fera  tout  son  devoir.  Il  ne  manquera  à  aucun  des  engagements  qu’il  a  pris.  Mais  sa  force réside avant tout dans la confiance qu’a mise en lui le peuple de France, et il en réclame aujourd’hui le témoignage aux millions d’électeurs qui l’ont porté au pouvoir.

L’action  du  gouvernement,  pour  être  efficace,  doit  s’exercer  dans  la  sécurité  publique.  Elle  serait paralysée par toute atteinte à l’ordre, par toute interruption dans les services vitaux de la nation. Toute  panique,  toute  confusion  serviraient  les  desseins  obscurs  des  adversaires  du  Front  Populaire,  dont certains guettent déjà leur revanche.

Le gouvernement demande donc aux travailleurs de s’en remettre à la loi pour celles de leurs revendications qui doivent être réglées par la loi, de poursuivre les autres dans le calme, la dignité et la discipline.  Il  demande  au  patronat  d’examiner  ces  revendications  dans  un  large  esprit  d’équité.  Il  déplorerait  qu’une  tactique  patronale  d’intransigeance  parût  coïncider  avec  son  arrivée  au  pouvoir.  Il  demande enfin au pays tout entier de conserver son sang-froid, de se défendre contre les exagérations crédules  et  les  rumeurs  perfides,  d’envisager  avec  pleine  maîtrise  de  lui-même  une  situation  déjà  dramatisée par les observateurs malveillants de la France, mais que les efforts d’une volonté commune doivent suffire à résoudre. La victoire des 26 avril et 3 mai reçoit aujourd’hui sa pleine consécration. Un grand avenir s’ouvre devant la démocratie française. Je l’adjure, comme chef du gouvernement, de s’y engager avec cette force tranquille qui est la garantie de victoires nouvelles.

Appel radiodiffusé de Léon BLUM (1872-1950) le 5 juin 1936 à 12 h 30 (répété à 13 h 30 et dans la soirée).

L’Amérique latine, un espace vulnérable face à la crise de 1929

Une autre particularité […] est le fait que la plupart des pays de l’Amérique latine ne fournissent qu’un, deux ou trois produits au commerce d’exportation : 71 % des exportations du Brésil consistent en café, 77 % de celles de la Bolivie en étain, 77 % de celles de Cuba en sucre, 70 % de celles du Chili en nitrate ; si l’on prend le nitrate et le cuivre combinés, la proportion pour ce dernier pays s’élève à 83 % des exportations […].

La chute des exportations [et des prix], la diminution des revenus publics ont augmenté les difficultés dans lesquelles se trouve le gouvernement pour l’obtention des fonds nécessaires à couvrir ses dépenses et à assurer le service de la dette publique. De nombreux ouvriers engagés pour l’exécution des travaux projetés durent être renvoyés. Il en fut de même pour ceux qui se trouvaient occupés à la production des articles formant la base même du commerce d’exportation ; d’où dépression, chute des salaires et chômage.

Tous les événements malheureux relatés plus haut entraînèrent un mécontentement économique et politique général […]. Les pays de l’Amérique latine passèrent par une période extrêmement difficile. Les revenus tombèrent à un niveau très bas […]. Au cours de ces deux dernières années, des révolutions éclatèrent dans neuf pays de l’Amérique latine. Certains gouvernements y semblent d’ailleurs encore peu stables.

 

« L’Amérique latine dans la dépression économique mondiale », Le Temps, 25 août 1931.

Paul CLAUDEL, un témoin du krach de Wall Street

Paul CLAUDEL (1868-1955) est un dramaturge, poète et diplomate français. Ambassadeur de France à Washington à partir de 1928, il est témoin du krach de Wall Street.

Dès le début de septembre, le marché de New York […] donnait des signes de faiblesse. […] Brusquement, le 24 octobre, une demi-heure après l’ouverture de la Bourse, les cours faiblirent. Cette chute pour ainsi dire perpendiculaire, occasionnée par des ordres de vente donnés de tous les coins du pays pas des spéculateurs effrayés et démoralisés, provoqua une panique sans précédent à Wall Street. Le déluge fut tel qu’à midi, en raison du nombre fabuleux de ventes « au marché », il était impossible aux agents de change d’avoir des offres d’achat à n’importe quel prix. […] C’était la panique sur toute la ligne. Il fut un moment question de fermer la Bourse. […]

Dans la seule journée du 28, plus de neuf millions d’actions furent vendues à n’importe quel prix par des spéculateurs dans l’impossibilité de résister au torrent […]. La Bourse a repris ses séances lundi matin et ce matin. Contrairement à ce que la majorité des spécialistes attendait, la baisse a recommencé et elle n’est pas enrayée à l’heure où j’écris. Les cours sont au plus bas, bien au-dessous de ceux du 29 octobre. […]

La cause profonde et principale de la crise a été sans aucun doute la spéculation qui s’était emparée du pays et s’était répandue dans le monde entier. Dans une poussée sans précédent, les achats étaient faits par une foule de plus en plus nombreuse de spéculateurs, sans tenir aucun compte des bilans des sociétés, de leurs gains et de leurs perspectives raisonnables pour l’avenir. […]

Tout l’argent du monde affluait à Wall Street où il était utilisé à alimenter une spéculation de plus en plus dangereuse. Depuis le millionnaire jusqu’au cireur de bottes, la population américaine tout entière était engagée. Il était fatal qu’une correction se produisit un jour ou l’autre.

 

Paul CLAUDEL, La crise : correspondance diplomatique. Amérique, 1927-1937, éditions Métailié, 1993.

Paul REYNAUD se souvient de la crise de 1929

A partir de 1927, […] les cours des actions montent en flèche à la bourse de New York. Du début de 1927 à octobre 1929, ils haussent de 130 à 218 (indices de l’Annalist). Avec des bénéfices prodigieux faits en dormant, les propriétaires de ces titres accroissent leur train de vie. Ils achètent, achètent […]. Mais […], les cours des matières premières et notamment des produits agricoles ont commencé à fléchir. Ce sont les nuages noirs qui s’amoncellent à l’horizon. L’orage va éclater. En 1929, l’industrie de l’automobile commença à être touchée. […] Quelques jours après, c’est le 24 octobre 1929 […] de la Bourse de New York d’où les brokers [les courtiers] sortaient avec des vêtements déchirés et des faux cols arrachés. Les cours s’étaient effondrés.

Ce fut le coup de gong qui annonça aux nations l’ouverture de la crise mondiale, l’un des plus grands événements de l’histoire du monde par les conséquences que nous allons lui voir produire. On assista alors à une baisse profonde des prix, surtout des prix agricoles […]. Autour du globe, les pays agricoles ruinés ne purent acheter les produits des pays industriels qui furent ruinés à leur tour. Ces deux géants, le travailleur agricole et le travailleur industriel, se trouvèrent debout, face à face, les bras croisés avec, à leurs pieds, leurs stocks invendus.

Aux États-Unis, la production s’effondra. De 1929 à 1933, celle de l’acier tomba de 56 à 13 millions de tonnes. Le pourcentage de chômeurs monta de 8,2 % à 24,3 % (12 millions de chômeurs). De 1929 à 1932, les exportations tombèrent de 5,2 milliards de dollars à 1,6 milliard. Celles à destination de l’Europe, de 2,3 milliards à 784 millions. De février 1929 à fin 1932, le prix du blé tomba de 1 dollar à 35 cents le boisseau, « cours le plus bas depuis Christophe COLOMB », disaient les manchettes de journaux. Les fermiers devinrent incapables de payer leurs dettes hypothécaires. On vendit leurs biens sur saisie. Les banques qui leur avaient fait des prêts s’écroulèrent par milliers. Lorsqu’en avril 1933, le président ROOSEVELT arriva au pouvoir, les fermiers empêchaient par la force les ventes sur saisie, renversaient les bidons de lait à l’entrée des villes et des mitrailleuses étaient même apparues. Des chômeurs s’improvisaient marchands de pommes dans les rues de New York. Des agressions avaient lieu dans les jardins publics. La révolution grondait. La crise atteignit le monde entier. L’ouvrier métallurgiste américain de Pittsburg, le planteur de café brésilien, l’artisan de Paris et le banquier de Londres, tous furent frappés.

 

Paul REYNAUD (1878-1966), La France a sauvé l’Europe, Flammarion, 1947.