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La résistance allemande à Hitler (La marche de l’histoire, 30 avril 2015)

La marche de l’histoire (France Inter). Émission du 30 avril 2015. Invité : Johann CHAPOUTOT.

 

L’historiographie relative à la résistance allemande à HITLER et au régime totalitaire nazi en général est « pléthorique »((Barbara KOEHN, La résistance allemande contre Hitler, Paris : PUF, 2003 ; Gilbert MERLIO, Les résistances allemandes à Hitler, Paris : Tallandier, 2003 ; Christine LEVISSE-TOUZE, Stefan MARTENS, Des Allemands contre le nazisme, Paris : Albin Michel, 1997)). Elle est redécouverte en Allemagne par la publication de journaux intimes. La mémoire allemande se nourrit de ces histoires alors que, durant la guerre froide, elle était divisée, les résistants communistes étant valorisés à l’est, les résistants démocrates-chrétiens à l’ouest.

Comme tout mouvement de résistance, elle est plurielle. Les deux termes allemands utilisés pour traduire le mot « résistance » révèlent d’ailleurs bien cette diversité. Le mot « Widerstand«  caractérise l’opposition en actes d’un certain nombre d’individus plus ou moins regroupés et organisés. Celui de « Resistanz« , tiré du vocabulaire de la science physique, traduit la capacité à ne pas plier, évoquant ainsi la résistance passive, l’émigration intérieure, la capacité à résister à l' »emprise totalitaire ». Cela peut s’exprimer dans la construction de blagues (consignées par les services de renseignement allemands). Johann CHAPOUTOT donne l’exemple d’une histoire populaire démarrant avec la visite d’HITLER dans un asile. Tous les pensionnaires le saluent, à l’exception d’une seule personne. HITLER s’en rapproche et veut savoir pourquoi elle ne le salue pas. Cette personne lui répond qu’elle est infirmier, pas folle.

Le « panorama » de la résistance allemande est fort étendu, allant au-delà de la Rose blanche (fondé en juin 1942, démantelé en février 1943) ou des 70 aristocrates mêlés à l’attentat du 20 juillet 1944. L’émission évoque ainsi Viktor KLEMPERER (1881-1960), juif résidant à Dresde et spécialiste de littérature française. Il décrypte le langage et les néologismes nazis (« kampferlich » par exemple)((Lingua Tertii Imperii)), montrant « l’euphémisation de la défaite ». L’esprit critique apparaît alors comme la « première résistance »((Je veux témoigner jusqu’au bout. Journal 1942-1945, Paris : Seuil, 2000)).

Mort à Dachau, l’opposant chrétien Friedrich RECK-MALLECZEWEN (1884-1945) débute en 1936 un journal intime « d’un désespéré » critiquant la manipulation et la barbarie nazie. Publié en 1947, il est réédité avec plus de succès en 1966.

Le cas de Kurt VON HAMMERSTEIN (1878-1943) a été repris par le romancier allemand Hans Magnus ENZENSBERGER pour montrer l’intransigeance de hauts-officiers envers le régime. Formé dans l’armée prussienne, ce général diffusait des informations de premier ordre à ses enfants communistes.

Y. CHAPOUTOT évoque enfin le rôle des femmes, en particulier dans les grèves de février 1943 de la Rosenstrasse de Berlin (pour réclamer la libération de leurs maris) et d’octobre 1943 dans la Ruhr (manifestation de la faim). Dans les deux cas, le pouvoir cède car, dans le contexte des défaites allemandes (Stalingrad), les nazis sont « en négociation constante » avec le peuple allemand.

Le devoir de mémoire : histoire d’une formule

Réf. : Sébastien LEDOUX, « Qui a inventé le devoir de mémoire ? », L’Histoire, n° 419, janvier 2016, p. 22-23.

Le devoir de mémoire apparaît aujourd’hui comme une expression récurrente dans les hautes sphères de l’État à l’heure des grandes (et multiples) commémorations. Ce devoir – le terme est fort – équivaudrait à l’injonction de se souvenir du passé, des douleurs et déchirements ressentis par toute la communauté nationale ou une partie d’entre elle (les groupes de mémoires).

Dans le numéro 419 du magazine L’histoire (janvier 2016, p. 22-23), mais aussi sur les ondes de France Inter (La marche de l’histoire du 21 janvier 2016), l’historien Sébastien LEDOUX (Paris I) revient sur le cheminement de cette « formule ». S’appuyant sur sa thèse, il explique bien que l’expression « devoir de mémoire » est utilisée pour la première fois, « sans relation avec l’histoire de la Seconde Guerre mondiale », par l’écrivain Jean ROUDAUT en 1972. Les années 1970 mettent la « mémoire » au sein des préoccupations de la littérature (mémoire régionale par exemple) et des sciences sociales et humaines. L’ouvrage de Maurice HALBWACHS, Les cadres sociaux de la mémoire (1925) est réédité en 1972 et l’historien Pierre NORA initie un séminaire sur les « lieux de mémoire » à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) en 1979.

Jacques CHIRAC (alors Premier ministre et maire de Paris) dévoilant la plaque commémorative de la rafle du Vél’ d’Hiv à Paris (18 juillet 1986).

Le monde politique s’empare de la formule dans les années 1980 (phase de « pollinisation »), lorsque le ministre des Anciens combattants, Jean LAURAIN, rend hommage aux combattants des deux guerres mondiales le 11 novembre 1985. Au sein de son ministère, sous l’impulsion de Serge BARCELLINI, une « politique du passé » s’amorce : il faut se souvenir pour ne plus commettre les crimes du passé.

Mais, pour Sébastien LEDOUX, le « tournant de l’histoire du devoir de mémoire se situe en 1992-1993 » (phase de « fécondation »). L’usage de l’expression s’élargit, entre dans le discours social. Elle est ainsi mobilisée pour soutenir la demande de reconnaissance des crimes antisémites de Vichy par l’État (juillet 1992) et le sujet de philosophie du baccalauréat 1993 la met à l’honneur (« Pourquoi y a-t-il un devoir de mémoire ? »). Le « devoir de mémoire » reste alors cantonné aux événements douloureux de la Seconde Guerre mondiale, notamment la Shoah (en janvier 1995, les éditions Mille et Une Nuits nomme Le devoir de mémoire le livre d’entretien posthume avec le rescapé d’Auschwitz Primo LEVI) enseignée en classe au moyen de nouvelles activités (rencontres avec des témoins des camps) et reliant les grands procès judiciaires de l’époque (le procès PAPON commence en 1997).

Le « devoir de mémoire » suit un double mouvement au cours des années 2000 (« phase de dissémination »). Tout d’abord, il touche d’autres périodes : Première Guerre mondiale, esclavage, génocide des Arméniens parmi d’autres. D’autre part, « la formule sert de cadre sémantique au vote de différentes lois relatives au passé » (lois mémorielles de 2005) et devient un moyen par l’État d’instrumentaliser le passé. Le risque est de diviser la société (concurrence entre groupe de mémoire) et de placer la recherche des historiens dans un carcan politique (le « devoir de mémoire » face au « travail de mémoire » selon Paul RICOEUR dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, 2000).