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Les 4 objectifs des États-Unis au Moyen-Orient d’après G. BUSH après la guerre du Koweït et le « nouvel ordre mondial »

« La guerre est finie. C’est une victoire pour tous les pays de la coalition, pour les Nations Unies […]. C’est une victoire de la loi et du droit […]. Saddam HUSSEIN était l’agresseur, le Koweït la victime. Sont venues à l’aide de ce petit pays des nations de l’Amérique du Nord et de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique du Sud, de l’Afrique et du monde arabe, tous unis face à cette agression. Notre coalition hors du commun doit travailler maintenant dans un même but : forger un avenir qui ne soit plus jamais l’otage du côté le plus sombre de la nature humaine […]. Ce soir, laissez-moi définir quatre objectifs clés.
Premièrement, nous devons travailler ensemble à mettre sur pied des accords de sécurité mutuelle dans la région. Nos amis et alliés du Proche-Orient auront la responsabilité première de la sécurité régionale. Mais qu’ils sachent que, tout comme elle les a soutenus pour repousser l’agression de l’Irak, l’Amérique est prête à travailler avec eux pour assurer la paix. […] Que nos amis et nos alliés sachent […] que l’Amérique se tient prête à assurer la paix à leurs côtés. Cela ne signifie pas le stationnement de forces américaines terrestres dans la péninsule arabique, mais la participation à des exercices conjoints, terrestres et aériens, et la présence d’une force navale conséquente dans la région, comme ce fut le cas depuis quarante ans. Que ce soit clair : nos intérêts nationaux dépendent d’un Golfe stable et sûr.
Deuxièmement, nous devons agir pour contrôler la prolifération des armes de destruction massive et les missiles utilisés pour les envoyer. Il serait tragique que les nations du Moyen-Orient et du Golfe […] s’engagent dans une nouvelle course aux armements. L’Irak
requiert une vigilance particulière. Il ne doit pas avoir accès aux instruments de guerre.
Troisièmement, nous devons travailler à créer de nouvelles occasions pour assurer la paix et la stabilité au Moyen-Orient […]. Israël et plusieurs pays arabes ont pour la première fois affronté ensemble le même agresseur. Désormais, il devrait être clair pour tous que faire la paix au Moyen-Orient demande des compromis, mais que cette paix est aussi porteuse d’avantages pour tous. […]
Quatrièmement, nous devons favoriser le développement économique pour le bien de la paix et du progrès. Le golfe Persique et le Moyen-Orient forment une région riche en ressources naturelles avec un potentiel humain riche mais inexploité. […]
En atteignant ces quatre objectifs nous pouvons bâtir un cadre pour la paix. […] A tous les défis offerts par cette région du monde, il n’y a pas de solution unique, pas de réponse de la seule Amérique. Mais nous pouvons changer les choses. L’Amérique y travaillera sans relâche […]. Maintenant, nous voyons apparaître un ordre nouveau, un monde où un nouvel ordre mondial peut être construit […]. Un monde où les Nations unies, libérées de l’impasse de la guerre froide, sont en mesure de réaliser la vision historique de leurs fondateurs. Un monde dans lequel la liberté et les Droits de l’homme sont respectés par toutes les nations. »

 

Extrait du discours de George BUSH devant le Congrès, le 6 mars 1991, à la fin de la guerre du Golfe.

NASSER se félicite de l’alliance entre l’Egypte et l’URSS (1964)

Après la crise de Suez (1956), l’Égypte s’est rapprochée de l’URSS. Avec l’Inde, elle est le pays le plus aidé par Moscou.

 

« Le début de notre inébranlable amitié fut le refus ferme et obstiné des peuples arabes de permettre sur leur sol l’existence de bases menaçant l’Union soviétique et son gouvernement. Dans ce sens, le peuple égyptien eut une attitude intransigeante, affirmant le principe du refus d’accepter la domination étrangère, avec la proclamation du non-engagement et la croyance que l’humanité pouvait disposer de ses efforts et de ses potentialités pour des actions plus utiles que la menace de destruction nucléaire et le maintien perpétuel du monde au bord de l’abîme. […] Nous avons à rappeler les moments décisifs, dont nos peuples garderont toujours le souvenir, ainsi que le rôle inoubliable qu’y a joué l’Union soviétique avec :

Premièrement, sa position aux côtés du peuple égyptien pour briser le monopole de l’armement. Les forces impérialistes avaient établi au milieu de la terre arabe une base hostile menaçant sa sécurité. Cette base hostile se changea en Israël, citadelle regorgeant d’armes. En ces temps, les peuples de la nation arabe ne trouvaient pas de moyens pour se défendre.

Deuxièmement, sa position aux côtés du peuple égyptien dans sa confrontation aux agressions des impérialistes qui voulaient envahir son ciel et ses côtes, lui arrachant son canal construit au prix de tant de sang égyptien, et le dépouiller de son droit. […]

Troisièmement, sa position aux côtés du peuple égyptien dans sa résistance au blocus économique et à la guerre psychologique qui atteignit son maximum dans la région avec l’intensification des pressions du pacte de Bagdad sur la Syrie, en 1957.

Quatrièmement, sa position aux côtés du peuple égyptien dans son effort héroïque d’édification économique de sa patrie, et son aide dans l’établissement de son industrie, dans la construction du haut barrage [d’Assouan], symbole de cette édification et symbole de la liberté. […]

Nos efforts se sont rencontrés à la fois dans la lutte contre l’impérialisme sous toutes ses formes, dans le soutien aux luttes de libération en Asie et en Amérique latine, pour le désarmement, l’élimination des bases étrangères, […] la lutte contre la discrimination raciale, la possibilité de la coexistence pacifique entre les peuples. […]

Les peuples indépendants découvrent quotidiennement le néo-colonialisme. L’indépendance politique ne peut se faire sans indépendance économique et sans efforts consacrés au développement. »

Discours de Gamal Abdel NASSER prononcé à Alexandrie en présence de Nikita KHROUCHTCHEV, 9 mai 1964, cité par Henry LAURENS, « L’URSS et l’Egypte de NASSER à SADATE » in Dominique CHEVALLIER (dir.), Renouvellement du monde arabe, Paris, 1987, p. 52-53.

F. MITTERRAND affirme son attachement au projet européen (1984)

« Lorsque, en mai 1948, trois ans exactement après la fin de la guerre, l’idée européenne a pris forme, c’était au Congrès de La Haye. J’y étais, et j’y croyais. Lorsque, en 1950, Robert SCHUMAN a lancé le projet de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, j’y adhérais et j’y croyais. Lorsque, en 1956, le vaste chantier du Marché commun s’est ouvert, avec la participation très active du gouvernement français de l’époque, j’y étais et j’y croyais. Et aujourd’hui, alors qu’il nous faut sortir l’Europe des Dix de ses querelles et la conduire résolument sur les chemins de l’avenir, je puis le dire encore, j’en suis et j’y crois. […]

On peut dire aujourd’hui que la Communauté a atteint ses premiers objectifs hérités de la guerre. Au départ, il fallait réconcilier, rassembler, atteler à une œuvre commune des peuples déchirés par la force et le sang. C’est fait. Maintenant, l’alternative est : ou bien de laisser à d’autres, sur notre continent, hors de notre continent, le soin de décider du sort de tous, et donc du nôtre, ou bien de réunir la somme des talents et des capacités […] qui ont fait de l’Europe une civilisation pour, selon un mot que j’aime de Walt WHITMAN [poète et humaniste américain du XIXe siècle], « qu’elle devienne enfin ce qu’elle est ». […]

Quoiqu’il en soit, la Communauté vit et travaille. […] Elle a, en particulier, engagé sans retour le processus d’adhésion de l’Espagne et du Portugal. N’allons-nous pas aggraver les tensions, réduire la cohésion de l’actuelle Communauté, ou bien est-il concevable que les conditions de l’intégration économique puissent d’ici longtemps être remplies ?
II est des attitudes commodes. Dire oui a priori à l’élargissement, par souci de plaire aux pays candidats, sans en tirer les conséquences pratiques ; ou dire non, quoi qu’il arrive, en refusant tout examen. Refusons ces facilités. […]
L’Europe […] qui possède plus des deux tiers des régimes libres du monde, serait-elle incapable de consolider ses institutions et d’agir d’un même mouvement, là où il le faut, force de paix et d’équilibre entre les plus puissants, force de justice et de progrès entre le Nord et le Sud ? Non, je ne le crois pas. »

 

Extraits de l’allocution de François MITTERRAND, Président de la République française, à
Strasbourg, au Parlement européen, le 24 mai 1984 (discours en intégralité sur le site vie-publique.fr).

Le Livre blanc de la Palestine sous tutelle britannique (mai 1939)

A la suite d’une conférence anglo-judéo-arabe qui se tient à Londres en février 1939, un Livre blanc est publié en mai 1939 dans le but d’apaiser les tensions entre Arabes et Juifs, et de détourner les pays arabes des puissances de l’Axe dans un contexte de marche à la guerre. Le Royaume-Uni, puissance mandataire de la Palestine, revient sur les promesses faites au mouvement sioniste pendant la Grande Guerre. Connu sous le nom de « Livre blanc de CHURCHILL » (alors secrétaire aux Colonies), ce document modère les points énoncés dans la déclaration Balfour, restreignant par exemple le territoire dédié au foyer national juif et relevant les conditions financières d’immigration des juifs.

I. Constitution

[…] Il a été avancé que l’expression foyer national pour le peuple juif offrait la perspective d’une Palestine devenue progressivement un État ou un Commonwealth juif. Le gouvernement de Sa Majesté n’entend pas mettre en cause le point de vue – exprimé par la Commission royale – des chefs sionistes lors de la déclaration Balfour, selon lequel ils estimaient que les termes de la déclaration n’excluaient pas un État juif ultimement. Mais, en accord avec la Commission royale, le gouvernement de Sa Majesté est convaincu qu’intégrée au cadre du mandat comme elle l’a été, la déclaration Balfour ne pouvait en aucune façon signifier que la Palestine serait transformée en un État juif, contre la volonté de la population arabe du pays.

[…] Le gouvernement de Sa Majesté déclare aujourd’hui sans équivoque qu’il n’est nullement dans ses intentions de transformer la Palestine en un État juif. Il considérerait comme une chose contraire à ses obligations envers les Arabes placés sous son mandat, et contraire aux assurances fournies précédemment aux Arabes, que la population arabe de Palestine doive devenir, contre sa volonté, les sujets d’un État juif. […] Depuis la déclaration de 1922, plus de 300 000 juifs ont immigré en Palestine, et la population du foyer national (juif) s’est élevée à quelque 450 000 âmes, soit environ un tiers de la population entière du pays. Et la communauté juive n’a pas manqué de tirer le plus grand parti des facilités qui lui furent offertes. L’accroissement du foyer national juif et ses réalisations en plusieurs domaines sont un effort remarquable de construction dont le monde doit être fier et qui, en particulier, font honneur au peuple juif.

[…] Il serait contraire à tout l’esprit du système des mandats que la population de Palestine demeure indéfiniment sous tutelle mandataire, aussi convient-il que les habitants du pays jouissent dès que possible du droit de se gouverner eux-mêmes, droit qu’exercent déjà les habitants des pays voisins. Le gouvernement de Sa Majesté ne peut présentement prévoir la forme constitutionnelle exacte que prendra le gouvernement en Palestine, mais son objectif est le self-government, et son désir est de voir s’établir finalement un État de Palestine indépendant. Ce devra être un État dans lequel les Arabes et les Juifs partageront l’autorité dans le gouvernement de telle manière que les intérêts essentiels de chacun soient sauvegardés.

[…] Au bout de cinq années, un corps représentatif des habitants de Palestine et du gouvernement britannique devra être établi aux fins de réviser les dispositions constitutionnelles de la période transitoire et de déposer des recommandations concernant la Constitution de l’État de Palestine indépendant. Si, au terme de dix années, il est avéré que l’indépendance doive être ajournée, le gouvernement britannique consultera les habitants de Palestine, le Conseil de la SDN. et les États arabes voisins, et établira en coopération avec eux des plans pour l’avenir.

 

II. Immigration

[…] La crainte qu’ont les Arabes que ce flot se poursuive indéfiniment jusqu’à ce que la population juive soit à même de les dominer a provoqué des conséquences extrêmement graves pour les Juifs et les Arabes et pour la paix et la prospérité de la Palestine. Les troubles regrettables des trois années écoulées ne sont que la plus récente et la plus persistante manifestation de cette grave appréhension arabe. Les méthodes utilisées par les terroristes arabes contre des frères arabes et contre des Juifs méritent la plus sévère condamnation. Mais on ne peut nier que la peur d’une immigration juive indéfinie est largement répandue dans les rangs de la population arabe et que cette peur a rendu possibles ces troubles […].

En conséquence, l’immigration sera maintenue au cours des cinq prochaines années pour autant que la capacité économique d’absorption du pays le permettra, à un taux qui portera la population juive à environ le tiers de la population totale. […] Au terme de la période de cinq ans, aucune immigration juive ne sera plus autorisée, à moins que les Arabes de Palestine ne soient disposés à y consentir […].

 

III. La terre

[…] Les rapports de plusieurs commissions d’experts ont indiqué que, compte tenu de la croissance naturelle de la population arabe et de l’importance des ventes de terres arabes aux Juifs, en certains endroits il ne reste plus assez de place pour de nouveaux transferts de terres arabes, tandis qu’en d’autres endroits ces transferts doivent être limités pour que les cultivateurs arabes puissent garder leur niveau de vie actuel et que ne soit pas créée prochainement une importante population arabe sans terre. Dans ces circonstances, le haut-commissaire recevra tous les pouvoirs pour prohiber et réglementer les transferts de terres […].

Extraits du Livre blanc de la Palestine sous tutelle britannique, 1939. Source : Olivier CARRE, Le mouvement national palestinien, Gallimard/Julliard, 1977, p. 76-79.

Le rapprochement sino-américain analysé par un journaliste français (1971)

« L’annonce d’une prochaine visite du président NIXON à Pékin a étonné le monde et fait l’objet d’innombrables commentaires. Comment la Chine qui ne cesse de dénoncer la politique d’agression des États-Unis a-t-elle pu accepter le principe de cette rencontre ? Quelles raisons ont pu pousser le gouvernement de Washington à faire ce geste […] ?
Certes, les facteurs qui ont dû pousser les États-Unis dans le sens de cette détente sont nombreux. […] Parmi ceux qui peuvent être considérés comme prépondérants probablement faut-il retenir dans l’ordre, l’espoir de faciliter le règlement du conflit vietnamien, la perspective de l’élection présidentielle de 1972, la question de l’entrée de la Chine à l’ONU et la volonté de faire pression sur l’URSS. Les raisons qui ont pu amener la Chine populaire à accepter le dialogue sont tout aussi importantes.
La première, qui est d’ordre très général, tient évidemment à la crainte qu’éprouve le gouvernement de Pékin de voir ceux de Washington et Moscou s’entendre contre lui sur un certain nombre de points. Quelle que soit l’idée que l’on se fasse de l’avenir de la détente sino-américaine, on ne peut nier la réalité actuelle et le danger qu’elle fait courir au gouvernement de Pékin. La Chine est un pays pauvre et le restera probablement encore pour un certain temps. C’est dire que sa puissance, pour de nombreuses années encore, ne pourra être fondée sur sa capacité industrielle mais sur son dynamisme politique et son habileté diplomatique. Le seul moyen dont dispose le gouvernement chinois pour s’affirmer sur la scène internationale, c’est de faire échec à tout rapprochement entre les deux super-puissances. »

 

Extrait de l’article de François JOYAUX, publié dans le Monde diplomatique en septembre 1971 et cité dans « Confucius, Mao, le marché… jusqu’où ira la Chine ? », Manière de voir 85, février-mars 2006.

Le regard d’un journaliste français sur la Chine de MAO (1965)

« Aujourd’hui, l’aspiration de la Chine à la direction de la révolution communiste est partout étalée dans les textes officiels, et c’est à chaque instant que le Quotidien du peuple* ou le Drapeau rouge* invitent les communistes à regarder vers Pékin, aussi bien les communistes des pays impérialistes que ceux des pays coloniaux ou semi-coloniaux. Partout en Chine j’ai vu affichée sur les murs l’image du vaillant prolétaire chinois guidant vers le combat ses frères noirs, jaunes et blancs. La thèse sans cesse répétée est que le marxisme-léninisme a été trahi en Occident par toutes les équipes communistes en place, en commençant par l’équipe khrouchtchévienne. […]
Dans le domaine diplomatique, le retour à la Chine signifie la fin d’un contrôle ou même d’une suzeraineté qu’exerçait Moscou sur la diplomatie chinoise. Jusqu’à une date récente, la Chine acceptait qu’une bonne partie de ses relations avec le monde extérieur passât par Moscou. Il lui était égal d’être absente de la scène internationale, ou du moins elle pouvait se le permettre, ayant assez à faire avec les problèmes intérieurs. Toute vassalité diplomatique par rapport à l’Union soviétique est aujourd’hui intolérable. Pour que le monde regarde vers la Chine, il faut que la Chine soit présente partout dans le monde. […]
Le retour à la Chine, c’est encore l’affirmation du principe de l’indépendance économique. «Comptons uniquement sur nos propres efforts », dit un slogan partout présent dans les usines […]. C’est un slogan courageux, quand il est proposé aux travailleurs chinois, puisqu’il leur demande l’énorme effort de combler le vide laissé par le départ des experts russes et de l’aide russe. […] »

 

* Il s’agit de titres de journaux chinois.

 

Robert GUILLAIN, Dans trente ans la Chine, Éditions du Seuil, 1965.

Rapport de Jean MOULIN sur l’état des journaux résistants en 1941

« Les trois groupements qui ont donné mandat à l’auteur de ces lignes de rédiger et de remettre aux autorités anglaises et au général DE GAULLE le présent message sont :

-« Liberté » ;

-« Libération nationale » ;

-« Libération ».

Ces trois groupements constituent, en France, les principales organisations de résistance à l’envahisseur. […]

Ces trois mouvements sont nés, spontanément et isolément, de l’initiative de quelques patriotes français. […] Dans les premiers temps, leur activité a consisté à répandre, sous le manteau et dans un cercle restreint, des feuilles de propagande dactylographiées à l’occasion des événements les plus marquants de l’actualité (discours de M. CHURCHILL, du président ROOSEVELT, appels du général DE GAULLE, actions militaires importantes, etc….), ou des faits justifiant une attitude de révolte de la part des patriotes français (prise de possession par HITLER de l’Alsace et de la Lorraine, violation des clauses de l’armistice, accords de Montoire, réquisitions allemandes, etc….).

Ensuite, avec le développement des moyens matériels et l’accroissement des bonnes volontés, ils purent tirer à la « ronéo » de véritables journaux paraissant avec une périodicité assez régulière. Enfin, depuis plusieurs mois, chaque groupement publie, à date fixe, un ou plusieurs journaux imprimés, ainsi que des brochures et des tracts. […]

Chacun des journaux des trois mouvements est imprimé, d’une part, en zone libre, d’autre part, en zone occupée, avec seulement des variantes dans le ton des articles pour une meilleure adaptation à l’état de l’opinion de chaque côté de la ligne de démarcation. Le tirage total de chacun de ces journaux (zone libre et zone occupée) varie entre 25 et 45 000 exemplaires, mais il faut multiplier ces chiffres au moins par cinq, étant données les nombreuses reproductions dactylographiées ou manuscrites qui en son faites. […] »

 

Rapport de Jean MOULIN aux services de renseignement britanniques et au général DE GAULLE à Londres, 25 octobre 1941, reproduit in Daniel CORDIER, Jean Moulin, l’inconnu du Panthéon, tome 3, nov. 1940-déc. 1941, Paris, 1993.

DE GAULLE présente sa rénovation de l’État sous le GPRF

Dans ses mémoires, Charles DE GAULLE rappelle quelques grands traits du gouvernement de la France après la Seconde Guerre mondiale.

 

« On peut dire qu’un trait essentiel de la résistance française est la volonté de rénovation sociale. Mais il faut la traduire en actes. Or, en raison de mes pouvoirs et du crédit* que m’ouvre l’opinion, j’ai les moyens de le faire. […]
Étant donné que l’activité du pays dépend du charbon, du courant électrique, du gaz, du pétrole et dépendra un jour de la fission de l’atome, que pour porter l’économie française au niveau qu’exige le progrès ces sources doivent être développées, qu’il y faut des dépenses et des travaux que seule la collectivité est en mesure d’accomplir, la nationalisation s’impose.
Dans le même ordre d’idée, l’État se voit attribuer la direction du crédit. En effet, dès lors qu’il lui incombe de financer lui-même les investissements les plus lourds, il doit en recevoir directement les moyens. Ce sera fait par la nationalisation de la Banque de France et des grands établissements de crédit. […]
Enfin, pour amener l’économie nouvelle à s’investir, c’est-à-dire à prélever sur le présent afin de bâtir l’avenir, le « Haut-commissariat au Plan d’équipement et de modernisation » sera créé pendant cette même année. Mais il n’y a pas de progrès véritable si ceux qui le font de leurs mains ne doivent pas y trouver leur compte. Le gouvernement de la Libération entend qu’il en soit ainsi, non seulement par des augmentations de salaires, mais surtout par des institutions qui modifient profondément la condition ouvrière. L’année 1945 voit refondre entièrement et étendre à des domaines multiples le régime des assurances sociales. Tout salarié en sera obligatoirement couvert. Ainsi disparaît l’angoisse, aussi ancienne que l’espèce humaine, que la maladie, l’accident, la vieillesse, le chômage faisaient peser sur les laborieux. […] D’autre part, un système complet d’allocations familiales est alors mis en vigueur. »

 

* « …crédit que m’ouvre l’opinion » : crédit a ici le sens de « confiance de l’opinion » et non le sens financier que le mot prend dans le reste du texte.

 

Charles DE GAULLE, Mémoires de guerre, Le Salut, 1944-1946, Plon, 1959.

Karl LIEBKNECHT proclame la République socialiste libre d’Allemagne (novembre 1918)

« Camarades, voici l’aube de notre liberté. Jamais un Hohenzollern* ne mettra plus le pied ici. Ce sont les esprits de millions de personnes qui ont donné leur vie pour la cause sacrée du prolétariat. Avec les crânes brisés, baignant dans leur sang, ces victimes de la tyrannie ont titubé, suivies par les esprits de millions de femmes et d’enfants morts de chagrin et de misère pour la cause du prolétariat. Après eux sont venus les millions de victimes de cette guerre mondiale. Aujourd’hui, une multitude immense de prolétaires impassibles se tient sur la même place, rendant hommage à cette nouvelle liberté. Camarades, je proclame la République socialiste allemande libre qui réunira tous les Allemands dans laquelle il n’y aura plus de bourgeoisie, ni de chefs, ni de serviteurs ; dans laquelle tout travailleur recevra un salaire juste pour son travail. Le règne du capitalisme qui a transformé le continent européen en un marais de sang est brisé. […] Mais si le vieux monde est abattu, nous ne devons pas croire que notre tâche est achevée. Nous devons concentrer toutes nos forces pour construire le gouvernement des ouvriers et des soldats, et pour instaurer un nouvel ordre étatique du prolétariat, un ordre de paix, de bonheur et de liberté pour tous nos frères allemands et pour nos frères du monde entier. Nous leur tendons la main et les appelons à achever la révolution mondiale. Que ceux d’entre vous qui veulent voir réalisées la République socialiste libre d’Allemagne et la révolution mondiale lèvent la main en guise de serment. (Toutes les mains se lèvent et des cris fusent : vive la République !) […] »

 

* La famille Hohenzollern est celle à laquelle a appartenu le dernier empereur allemand GUILLAUME II. Cette famille règne sur l’empire allemand depuis sa création en 1871.

 

Karl LIEBKNECHT, Gesammelte Reden und Schriften (Recueil de textes et discours), Dietz Verlag, 1971.

Le XXIe siècle, un siècle américain ? (Le Monde, 2000)

« Un siècle américain ?

Au beau milieu des années 1980 encore, on les disait sur le déclin. De ce côté-ci de l’Atlantique mais également en Asie, où les succès économiques portaient certains à l’arrogance, on les voyait sur le chemin de la décadence. Ils avaient dominé le siècle. Mais l’heure de l’Europe et de l’Asie – du Japon ou de la Chine, selon les modes – avait sonné. Bref, les États-Unis, affirmait-on alors, gros ouvrages à l’appui, avaient connu leur apogée.

On avait parlé trop vite. Ils n’étaient pas en sommeil : ils changeaient. Ils inventaient la nouvelle économie. Ils intégraient, les premiers, les dernières technologies de l’information, nées chez eux, à l’industrie et aux services. Cette révolution allait redonner à l’économie américaine sa place prépondérante. A cette puissance économique et technologique s’ajoute, au lendemain de la victoire dans la guerre froide, leur domination militaire – celle des armes du futur – et idéologique – l’économie de marché et la démocratie, indépassables horizons… Ils sont le plus gros centre de recherche du monde : année après année, leurs scientifiques empochent plus de 60% des Nobel. Un demi-million de jeunes étrangers étudient dans leurs universités.

Autant politique qu’économique, leur puissance est aussi, surtout, culturelle : la culture populaire américaine domine le monde. L’ensemble de la panoplie, qu’aucun autre État ne possède au complet, fait d’eux ce que l’essayiste américain Ben J. WATTENBERG a, le premier, appelé une « hyperpuissance ». Le XXIe siècle s’annonce-t-il comme la répétition du XXe siècle : un siècle américain ? »

Éditorial du journal Le Monde, 1er janvier 2000.

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