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Extrait de la quatrième loi d’amnistie de 1953

Entre 1946 et 1953, quatre lois d’amnistie sont votées au Parlement, qui élargissent progressivement le nombre des amnistiés. La dernière loi de 1953 n’est pas votée à l’unanimité, le groupe communiste étant hostile à l’amnistie. Néanmoins, le premier article de cette loi, voté à part, recueille l’unanimité des voix.

 

La République française rend hommage à la Résistance, dont le combat au-dedans et au-dehors des frontières a sauvé la nation. C’est dans la fidélité à l’esprit de la Résistance qu’elle entend que soit aujourd’hui dispensée la clémence. L’amnistie n’est pas une réhabilitation ni une revanche, pas plus qu’elle n’est une critique contre ceux qui, au nom de la nation, eurent la lourde tâche de juger et de punir.

 

Article 1 de la loi d’amnistie générale votée le 24 juillet 1953

DE GAULLE appelle à l’unité d’une France unanimement résistante (octobre 1944)

« Enfin, nous devons nous unir. Assurément, nous autres, Français, sommes divers à tous égards. Nous le sommes par nos idées, nos professions, nos régions. Nous le sommes par notre nature qui nous a fait essentiellement critiques et individualistes. Nous le sommes aussi, hélas ! en conséquence des malheurs que nous venons de traverser et qui nous ont blessés et opposés les uns aux autres.
Mais, à part une poignée de misérables et d’indignes, dont l’État fait et fera justice, l’immense majorité d’entre nous furent et sont des Français de bonne foi. Il est vrai que beaucoup ont pu se tromper à tel moment ou à tel autre, depuis qu’en 1914 commença cette guerre de trente ans. Je me demande même qui n’a jamais commis d’erreur ? Il est vrai que certains ont pu céder à l’illusion ou au découragement quand le désastre et le mensonge avaient submergé notre pays. Il est vrai que même parmi ceux qui s’opposèrent vaillamment à l’ennemi, il y a eu des degrés divers dans le mérite […]. Mais quoi ? La France est formée de tous les Français. Elle a besoin, sous peine de périr, des cœurs, des esprits, des bras de tous ses fils et de toutes ses filles. Elle a besoin de leur union, non point celle que l’on proclame dans des programmes ou des discours pour la compromettre en même temps par querelles, outrages et surenchères, mais de leur union réelle, sincère, fraternelle. »

 

Discours de Charles DE GAULLE prononcé à Paris le 14 octobre 1944

Extraits du réquisitoire du procureur contre PÉTAIN (1945)

« Le gouvernement de PÉTAIN, né de la défaite et d’un abus de confiance, n’a pu se maintenir pendant quatre années qu’en acceptant l’aide de la force allemande, en mettant sa politique au service de la politique allemande, en collaborant dans tous les domaines avec HITLER. Cela, messieurs, c’est la trahison.
On vous a dit que s’il n’en avait pas été ainsi, la situation des Français eût été pire. Je ne le crois pas. Je crois qu’elle a été meilleure en Belgique qu’elle ne l’a été en France. En France, 150 000 otages fusillés, 750 000 ouvriers mobilisés pour aller travailler en Allemagne ; notre flotte détruite ; la déportation, à l’ombre de la collaboration ; 110 000 réfugiés politiques, 120 000 déportés raciaux, sur lesquels il n’en est revenu que 1 500. Je me demande comment la situation des Français eût pu être pire.
Mais il y a quelque chose de pire. C’est que, pendant quatre ans, cette politique, aux yeux de l’étranger, a failli nous déshonorer. Pendant quatre ans, cette politique a abouti à ceci : jeter le doute sur la France, sur la fidélité à ses engagements, sur sa parole, sur son honneur.
Il en est des nations comme des individus, et le vers de JUVÉNAL est tellement vrai : « La pire des catastrophes, c’est, de peur de perdre une existence misérable, de perdre ce qui fait la raison même de vivre » , c’est-à-dire l’honneur. Or on a failli faire perdre à la France sa raison de vivre en lui enlevant son honneur. Cela, messieurs, c’est le crime inexpiable auquel je ne vois ni atténuation ni excuse, et auquel une cour de justice chargée d’appliquer la loi ne peut qu’appliquer une peine, la plus haute qui soit inscrite dans l’échelle des châtiments prévus par la loi. »

 

Réquisitoire du procureur général MORNET lors du procès du Maréchal PÉTAIN, 11 août 1945

PETAIN se justifie lors de son procès (juillet 1945)

« Pendant quatre années, par mon action, j’ai maintenu la France, j’ai assuré aux Français la vie et le pain, j’ai assuré à nos prisonniers le soutien de la Nation. Que ceux qui m’accusent et prétendent me juger s’interrogent du fond de leur conscience pour savoir ce que, sans moi, ils seraient peut-être devenus.
Pendant que le général DE GAULLE, hors de nos frontières, poursuivait la lutte, j’ai préparé les voies de la libération, en conservant une France douloureuse, mais vivante. […]
Malgré d’immenses difficultés, aucun pouvoir n’a plus que le mien honoré la famille et, pour empêcher la lutte des classes, cherché à garantir les conditions du travail à l’usine et à la terre. […]
Je représente une tradition qui est celle de la civilisation française et chrétienne, face aux excès de toutes les tyrannies. »

 

Déclaration du Maréchal PETAIN à son procès, 23 juillet 1945 (texte complet)

Un exemple de témoignage d’après-guerre au Tribunal de Nuremberg (1946)

En 1942, Marie-Claude VAILLANT-COUTURIER (devenue députée communiste à l’Assemblée constituante en 1945) est arrêtée par la police française pour sa participation à la Résistance, puis livrée à la Gestapo et enfin déportée à Auschwitz et Ravensbrück. Témoignant au tribunal de Nuremberg, elle est interrogée ici par Charles DUBOST du ministère public français.

 

« Mme VAILLANT-COUTURIER. – Je suis arrivée le 20 mars à la prison de la Santé, au quartier allemand. J’ai été interrogée le 9 juin 1942. À la fin de mon interrogatoire, on a voulu me faire signer une déclaration qui n’était pas conforme à ce que j’avais dit. Comme j’ai refusé de la signer, l’officier qui m’interrogeait m’a menacée, et comme je lui ai dit que je ne craignais pas la mort ni d’être fusillée, il m’a dit : « Mais nous avons à notre disposition des moyens bien pires que de fusiller les gens pour les faire mourir », et l’interprète m’a dit :  » Vous ne savez pas ce que vous venez de faire. Vous allez partir dans un camp de concentration allemand ; on n’en revient jamais ». […] En quittant la Santé le 20 août 1942, j’ai été conduite au fort de Romainville, qui servait de camp d’otages. Là, j’ai assisté deux fois à des prises d’otages, le 21 août et le 22 septembre. Parmi les otages emmenés, il y avait les maris des femmes qui se trouvaient avec moi et qui sont parties pour Auschwitz ; la plupart y sont mortes. Ces femmes, pour la plupart, n’étaient arrêtées qu’à cause de l’activité de leur mari ; elles n’en avaient aucune elles-mêmes.

M. DUBOST. – Vous êtes partie à Auschwitz à quel moment ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Je suis partie pour Auschwitz le 23 janvier et arrivée le 27.

M. DUBOST. – Vous faisiez partie d’un convoi ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Je faisais partie d’un convoi de 230 Françaises. Il y avait parmi nous Danielle CASANOVA, qui est morte à Auschwitz, Maï POLITZER, qui est morte à Auschwitz, Hélène SOLOMON. Il y avait de vieilles femmes…

M. DUBOST. – Quelle était leur condition sociale ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Des intellectuelles, des institutrices, un peu de toutes les conditions sociales. Maï POLITZER était médecin : elle était la femme du philosophe Georges POLITZER. Hélène SOLOMON était la femme du physicien SOLOMON ; c’est la fille du professeur LANGEVIN. Danielle CASANOVA était chirurgien-dentiste et elle avait une grande activité parmi les femmes ; c’est elle qui a monté un mouvement de résistance parmi les femmes de prisonniers.

M. DUBOST. – Combien êtes-vous revenues sur 230 ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – 49. […] Le voyage était extrêmement pénible, car nous étions 60 par wagon et l’on ne nous a pas distribué de nourriture ni de boissons pendant le trajet. Comme nous demandions aux arrêts aux soldats lorrains enrôlés dans la Wehrmacht qui nous gardaient si l’on arrivait bientôt. ils nous ont répondu : « Si vous saviez où vous allez, vous ne seriez pas pressées d’arriver ». […] Nous sommes arrivées à Auschwitz au petit jour. On a déplombé nos wagons et on nous a fait sortir à coups de crosses pour nous conduire au camp de Birkenau, qui est une dépendance du camp d’Auschwitz, dans une immense plaine, qui, au mois de janvier était glacée… […] On nous a conduites dans une grande baraque, puis à la désinfection. Là, on nous a rasé la tête et on nous a tatoué sur l’avant-bras gauche le numéro matricule. Ensuite, on nous a mises dans une grande pièce pour prendre un bain de vapeur et une douche glacée. Tout cela se passait en présence des 58, hommes et femmes, bien que nous soyons nues. Après, on nous a remis des vêtements souillés et déchirés, une robe de coton et une jaquette pareille. […] À ce moment-là, les commandos de travail d’hommes sont rentrés. Derrière chaque commando, il y avait des hommes qui portaient des morts. Comme ils pouvaient à peine se traîner eux-mêmes, ils étaient relevés à coups de crosses ou à coups de bottes, chaque fois qu’ils s’affaissaient…

M. DUBOST. – Je vous demande pardon, pouvez-vous décrire les scènes de l’appel ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Pour l’appel, on était mis en rangs, par cinq, puis nous attendions jusqu’au jour [les détenues étaient réveillées à trois heures et demie du matin] que les Aufseherinnen, c’est-à-dire les surveillantes allemandes en uniforme, viennent nous compter. Elles avaient des gourdins et elles distribuaient, au petit bonheur la chance, comme ça tombait, des coups. Nous avons une compagne, Germaine RENAUD, institutrice à Azay-le-Rideau, en France, qui a eu le crâne fendu devant mes yeux par un coup de gourdin, durant l’appel. Le travail à Auschwitz consistait en déblaiements de maisons démolies, constructions de routes et surtout assainissement des marais. C’était de beaucoup le travail le plus dur, puisqu’on était toute la journée les pieds dans l’eau et qu’il y avait danger d’enlisement. Il arrivait constamment qu’on soit obligé de retirer une camarade qui avait enfoncé parfois jusqu’à la ceinture. Durant tout le travail, les SS hommes et femmes qui nous surveillaient nous battaient à coups de gourdins et lançaient sur nous leurs chiens. Nombreuses sont les camarades qui ont eu les jambes déchirées par les chiens. Il m’est même arrivé de voir une femme déchirée et mourir sous mes yeux, alors que le SS TAUBER excitait son chien contre elle et ricanait à ce spectacle. Les causes de mortalité étaient extrêmement nombreuses. Il y avait d’abord le manque d’hygiène total. Lorsque nous sommes arrivées à Auschwitz, pour 12 000 détenues, il y avait un seul robinet d’eau non potable, qui coulait par intermittence. Comme ce robinet était dans les lavabos allemands, on ne pouvait y accéder qu’en passant par une garde de détenues allemandes de droit commun, qui nous battaient effroyablement. Il était donc presque impossible de se laver ou de laver son linge. Nous sommes restées pendant plus de trois mois sans jamais changer de linge ; quand il y avait de la neige, nous en faisions fondre pour pouvoir nous laver. Plus tard, au printemps, quand nous allions au travail, dans la même flaque d’eau sur le bord de la route, nous buvions, nous lavions notre chemise ou notre culotte. Nous nous lavions les mains à tour de rôle dans cette eau polluée. Les compagnes mouraient de soif, car on ne distribuait que deux fois par jour un demi-quart de tisane.

[Mme VAILLANT-COUTURIER parle ensuite du bloc 25, où les Allemands envoyaient les détenues faibles ou mourantes : elles étaient destinées à la chambre à gaz.]

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Ce bloc 25, qui était l’antichambre de la chambre à gaz – si l’on peut dire – je le connais bien, car, à cette époque, nous avions été transférées au bloc 26 et nos fenêtres donnaient sur la cour du 25. On voyait les tas de cadavres, empilés dans la cour, et, de temps en temps, une main ou une tête bougeait parmi ces cadavres, essayant de se dégager : c’était une mourante qui essayait de sortir de là pour vivre. La mortalité dans ce bloc était encore plus effroyable qu’ailleurs, car, comme c’étaient des condamnées à mort, on ne leur donnait à manger et à boire que s’il restait des bidons à la cuisine, c’est-à-dire que souvent elles restaient plusieurs jours sans une goutte d’eau.  Un jour, une de nos compagnes, Annette EPAUX, une belle jeune femme de trente ans, passant devant le bloc, eut pitié de ces femmes qui criaient, du matin au soir, dans toutes les langues : « À boire, à boire, à boire, de l’eau ». Elle est rentrée dans notre bloc pour chercher un peu de tisane, mais, au moment où elle la passait par le grillage de la fenêtre, la Aufseherin l’a vue, l’a prise par le collet et l’a jetée au bloc 25. Toute ma vie, je me souviendrai d’Annette EPAUX. Deux jours après, montée sur le camion qui se dirigeait à la chambre à gaz, elle tenait contre elle une autre Française, la vieille Line PORCHER, et au moment où le camion s’est ébranlé, elle nous a crié : « Pensez à mon petit garçon, si vous rentrez en France ». Puis elles se sont mises à chanter la Marseillaise. […] Une autre cause de mortalité et d’épidémie était le fait qu’on nous donnait à manger dans de grandes gamelles rouges qui étaient seulement passées à l’eau froide après chaque repas. Comme toutes les femmes étaient malades, et qu’elles n’avaient pas la force durant la nuit de se rendre à la tranchée qui servait de lieux d’aisance et dont l’abord était indescriptible, elles utilisaient ces gamelles pour un usage auquel elles n’étaient pas destinées. Le lendemain, on ramassait ces gamelles, on les portait sur un tas d’ordures et, dans la journée, une autre équipe venait les récupérer, les passait à l’eau froide, et les remettait en circulation…

M. DUBOST. – Voulez-vous préciser ce qu’était le Revier dans le camp ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Le Revier était les blocs où l’on mettait les malades. On ne peut pas donner à cet endroit le nom d’hôpital, car cela ne correspond pas du tout à l’idée qu’on se fait d’un hôpital. Pour y aller, il fallait d’abord obtenir l’autorisation du chef de bloc, qui la donnait très rarement. Quand enfin on l’avait obtenue, on était conduit en colonne devant l’infirmerie où, par tous les temps, qu’il neige ou qu’il pleuve, même avec 40° de fièvre, on devait attendre plusieurs heures, en faisant la queue, pour être admise. Il arrivait fréquemment que des malades meurent dehors, devant la porte de l’infirmerie, avant d’avoir pu y pénétrer. Du reste, même de faire la queue devant l’infirmerie était dangereux car, lorsque cette queue était trop grande, le SS passait, ramassait toutes les femmes qui attendaient et les conduisait directement au bloc 25.

M. DUBOST. – C’est-à-dire à la chambre à gaz ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – C’est-à-dire à la chambre à gaz. C’est pourquoi très souvent les femmes préféraient ne pas se présenter au Revier, et elles mouraient au travail ou à l’appel. Après l’appel du soir, en hiver, quotidiennement, on relevait des mortes qui avaient roulé dans les fossés. Le seul intérêt du Revier, c’est que, comme on était couché, on était dispensé de l’appel, mais on était couché dans des conditions effroyables, dans des lits de moins d’un mètre de large à quatre, avec des maladies différentes, ce qui faisait que celles, qui étaient entrées pour des plaies aux jambes, attrapaient la dysenterie ou le typhus de leur voisine. Les paillasses étaient souillées, on ne les changeait que quand elles étaient complètement pourries. Les couvertures étaient si pleines de poux qu’on les voyait grouiller comme des fourmis… […] Il n’y avait pour ainsi dire pas de médicaments, on laissait donc les malades couchées, sans soins, sans hygiène, sans les laver… […]

Il y avait à Auschwitz une maison de tolérance pour les SS et également pour les détenus, fonctionnaires hommes, qu’on appelait des « Kapo ». D’autre part, quand les SS avaient besoin de domestiques, ils venaient, accompagnés de la Oberaufseherin, c’est-à-dire la commandante femme du camp, choisir pendant la désinfection et ils désignaient une petite jeune fille que la Oberaufseherin faisait sortir des rangs. Ils la scrutaient, faisaient des plaisanteries sur son physique et, si elle était jolie et leur plaisait, ils l’engageaient comme bonne avec le consentement de la Oberaufseherin qui leur disait qu’elle leur devait une obéissance absolue, quoi qu’ils lui demandent.

M. DUBOST. – Pourquoi venaient-ils pendant la désinfection ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Parce qu’à la désinfection, les femmes étaient nues.

M. DUBOST. – Ce système de démoralisation et de corruption était-il exceptionnel ?

Mme VAILLANT-COUTURIER. – Non, dans tous les camps où j’ai passé, le système était le même ; j’ai parlé à des détenues venues de camps où je n’avais pas été moi-même, et c’est toujours la même chose. Le système est exactement le même dans n’importe quel camp. »

Déposition de Marie-Claude VAILLANT-COUTURIER devant le Tribunal de Nuremberg, 28 janvier 1946, texte extrait de L. SAUREL, Le procès de Nuremberg, Éditions Rouff, 1965, p. 149-155.

 

Dès 1966, Henri MICHEL remet en cause le travail de Robert ARON sur Vichy

« Le régime de Vichy a commencé […] son existence par une double erreur, qui allait se révéler irréparable : conviction que la guerre était achevée pour la France avec la défaite de ses armées ; illusion qu’un gouvernement demeuré en France pourrait affirmer un minimum d’indépendance vis-à-vis du vainqueur. […]

Cette double erreur explique toute la politique de Vichy ; elle la rend parfaitement cohérente, mais aussi parfaitement vaine […]. Puisque l’Angleterre avait perdu la guerre, l’habileté semblait commander la rupture avec elle. À aucun moment, aucun des gouvernants de Vichy, pendant ces six premiers mois du régime, n’a pensé que la France pourrait un jour reprendre le combat aux côtés de la Grande-Bretagne. […]

Si le pire ne s’est pas produit, si le renversement d’alliances n’a pas eu lieu, si la France ne s’est pas trouvée engagée plus tard aux côtés de l’Allemagne, aux plus mauvaises heures du nazisme, c’est que HITLER ne l’a pas voulu. […]

La collaboration n’est donc pas le résultat d’un plan allemand méthodique, obstinément poursuivi, auquel une partie des dirigeants de Vichy se serait dérobée, tandis qu’une autre s’y serait soumise, avec plus ou moins de résignation ou d’empressement. C’est une politique imaginée par le gouvernement de Vichy, unanime, derrière le maréchal PETAIN, et ce sont les Allemands qui, après l’avoir envisagée un moment avec faveur, n’ont plus voulu s’y engager, quand ils n’y ont plus découvert d’intérêt.

Dans une certaine mesure, la Révolution nationale s’inspirait de la collaboration. Diplomatiquement, pensait-on à Vichy, il valait mieux inspirer confiance au vainqueur en lui montrant un visage apprêté pour lui plaire, à savoir un régime français proche du sien […]. Politiquement, puisque les régimes totalitaires avaient gagné la guerre, et que, de toute évidence, ils dirigeraient le monde pendant longtemps, il paraissait de bonne tactique d’appliquer à la France, pour asseoir son relèvement, les méthodes qui leur avaient assuré la victoire.

En fait les dirigeants de Vichy étaient trop âgés, et leur pensée trop sclérosée, pour vouloir réellement engager la France dans la voie d’un fascisme, dont la violence et le caractère populaire les effrayaient. Leurs préférences allaient à une réaction politique annulant progressivement soixante-dix ans d’erreurs républicaines, sinon même cent cinquante années d’égarement démocratique, provoqué par la mise en application des « principes de 1789 ». […]

La défaite de la France permettait ainsi l’assouvissement de passions partisanes. Par suite, non seulement la Révolution nationale, par son archaïsme, ne donna en aucune façon à la France les armes, matérielles ou spirituelles, dont elle avait besoin pour son relèvement, mais en outre elle ne fit qu’accroître la division des Français, en présence de l’occupant et à son profit. Elle rechercha des coupables, elle épura, elle sanctionna, elle créa des catégories de réprouvés. Elle manqua ainsi les buts qu’elle s’était fixés.

La défaite des armées françaises, dont la convention d’armistice était la sanction, remettait le sort de la France à son implacable vainqueur. Incapables désormais d’infléchir le cours du destin, les Français ne conservaient quelque chance de préserver leur avenir que par le comportement qu’ils adopteraient à l’égard du Reich. […] Les dirigeants de Vichy choisirent l’acceptation, qu’ils baptisèrent collaboration, dès le 17 juillet 1940. […]

Le gouvernement de Vichy recula toujours devant les conséquences possibles d’une affirmation de son indépendance : la rupture de la convention d’armistice, et l’invasion de la zone sud par la Wehrmacht. A la première manifestation de colère de l’occupant, il se soumettait.

Ainsi il n’utilisa jamais au mieux les quelques atouts que l’armistice lui avait laissés ; il ne joua pas de la crainte qu’inspirait à HITLER une utilisation possible de ces atouts par la Grande-Bretagne ; il n’envisagea à aucun moment, par exemple, de se transférer à Alger – même pas au lendemain du 13 décembre.

C’est que jamais les dirigeants de Vichy n’imaginèrent que la France pouvait jouer encore un rôle clans la guerre, pour sa propre libération. Reprendre le combat, c’était reconnaître que la demande d’armistice avait été une erreur, que le Maréchal n’était pas infaillible, et que le général DE GAULLE avait raison ; c’était renoncer à la “régénération” de la France par la Révolution nationale, pour des partisans à qui la défaite avait donné un pouvoir que la Révolution nationale leur permettrait de conserver […].

Pour son salut, il ne restait plus au peuple français qu’à se préparer à livrer son propre combat, en dehors des chefs et du régime que la défaite provisoire de ses armées lui avait imposé. »

 

Henri MICHEL (secrétaire général du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale), Vichy. Année 40, Fayard, 1966, p. 432-438 (conclusion de l’ouvrage).

La thèse du bouclier et de l’épée (Robert ARON)

Écrit par l’essayiste et académicien Robert ARON (avec l’aide d’une jeune historienne, Georgette ELGEY), La France de Vichy est publié en 1954 et reste jusqu’aux années 1960 un ouvrage de référence sur ces « années noires ». La thèse du bouclier et de l’épée sera battue en brèche dès 1966 par l’historien Henri MICHEL (secrétaire général du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, auteur de Vichy. Année 40), puis par Robert PAXTON.

Écrit sous forme de récit, sans références précises, utilisant des documents dits « inédits » (avant tout les sténographies non publiées de procès de Haute Cour), l’ouvrage affirme envisager l’objectivité et formule même des critiques sur le régime (PETAIN est blâmé pour avoir manqué l’occasion de se dégager de l’emprise allemande en février 1941, et encore plus pour avoir transformé, en novembre 1943, l’État français en une “principauté de Gerolstein”). Pourtant, sans être explicitement formulées, des thèses sont bien sous-jacentes : l’idée du bouclier vichyste (les responsables de Vichy se seraient conduits honorablement contre HITLER) ou l’opposition entre le Vichy de LAVAL et le bon Vichy dont rien n’est dit, ou presque, de la politique d’exclusion et de répression.

L’historien Jean-Pierre AZEMA affirmera en 1992 que « cet ouvrage, écrit par un non-conformiste des années 1930 qui avait manifesté une sensibilité giraudiste, venait à son heure et rencontra l’adhésion de tous ceux qui ne s’étaient pas engagés dans la Résistance et avaient besoin de thèses rassurantes » (Jean-Pierre AZEMA, « Vichy et la mémoire savante : quarante-cinq ans d’historiographie » in Jean-Pierre AZEMA et François BEDARIDA (dir.), Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, p. 27).

 

« L’armistice, dont la conclusion constitue le premier acte du gouvernement, n’a cessé depuis sa signature de diviser l’opinion. C’est un des plus grands sujets de discorde qui se posent à propos de la politique menée par PETAIN. […]

Pour Philippe PETAIN, la guerre est finie, une guerre qui, selon lui, n’est que le troisième épisode, en soixante-dix ans, des conflits franco-allemands : 1914 avait été la reprise de 1870 ; 1939-1940 est à son tour celle de 1914. La décision militaire intervenue, c’est par un lent et patient travail de négociations avec le vainqueur et de redressement du vaincu que celui-ci peut se relever ; le premier devoir d’un chef de gouvernement est de protéger les Français demeurés en France.

Pour Charles DE GAULLE, au contraire, la guerre commence seulement. Une guerre d’une autre nature, d’une autre époque que les conflits précédents. Une guerre à l’échelle mondiale, où la France, qui a perdu la première bataille, peut avec ses alliés et son Empire être présente à la victoire.

Ce qui plus encore différencie les deux attitudes, les deux hommes et les deux camps entre lesquels jusqu’à nos jours vont se partager les Français, ce sont deux attitudes sentimentales opposées, deux conceptions de l’honneur. […]

L’honneur qu’allègue le maréchal PETAIN, c’est l’honneur d’un gouvernement qui a su maintenir les données de son indépendance et protège les populations : en un mot, c’est l’honneur civique. Celui qu’invoque le général DE GAULLE, c’est l’honneur militaire pour qui s’avouer vaincu est toujours un acte infamant.

De ces honneurs, il se peut que l’un soit plus impérieux, plus instinctif, plus spontané. L’autre existe, sur un mode sans doute moins éclatant, mais il est pourtant réel.

Le premier correspondait à l’aventure exaltante, mais d’apparence désespérée, dont Charles DE GAULLE est l’annonciateur. Le second à l’épreuve lente et douloureuse dont Philippe PETAIN ne prévoyait ni la durée ni la fin.

Tous deux étaient également nécessaires à la France. Selon le mot que l’on prêtera successivement à PETAIN et à DE GAULLE : “Le Maréchal était le bouclier, le Général l’épée.”

Pour l’immédiat, le Maréchal parut avoir raison ; pour l’avenir, le général a vu plus juste. Il n’en résulte pas que son adversaire soit coupable, pour avoir signé l’armistice : “L’armistice, a déclaré en Haute-Cour le procureur général MORNET, qui fut un des plus acharnés à requérir contre Vichy, est un fait ; l’armistice ne constitue pas un des chefs de l’accusation : c’est la préface de l’accusation.” Qui pourrait, en pareille matière, se montrer plus implacable que MORNET ?

Au maréchal PETAIN, en juin 1940, l’armistice apparaît, en tout cas, comme la préface d’une entreprise de rénovation nationale qui est urgente et nécessaire. »

 

Robert ARON, Histoire de Vichy (1940-1944), Fayard, 1954, p. 90-95

Le discours de DE GAULLE à Paris le 25 août 1944 : les débuts du mythe résistancialiste

Dans son discours du 25 août 1944, à l’Hôtel de ville de Paris, le général DE GAULLE pose, selon l’historien Henry ROUSSO, la « première pierre du mythe fondateur de l’après-Vichy ».

 

« Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l’émotion qui nous étreint tous, hommes et femmes, qui sommes ici chez nous, dans Paris libéré, debout ? Non, nous ne dissimulerons pas ici cette émotion profonde et sacrée. Il y a là des minutes dont nous savons tous qu’elles dépassent chacune de nos pauvres vies. Paris, Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré, libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France qui se bat c’est-à-dire la vraie France, la France éternelle. […]

Eh bien ! puisque Paris est libre puisque l’ennemi qui le tenait a capitulé dans nos mains, la France rentre à Paris chez elle. Elle y rentre sanglante, mais elle y rentre bien résolue. Elle y rentre éclairée par d’amères leçons, mais elle y rentre plus certaine que jamais de ses devoirs et de ses

droits. J’ai dit d’abord de ses devoirs, ce qui exprime tout pour le moment. Nous savons qu’il s’agit de la guerre. L’ennemi n’est pas encore abattu, il en reste sur notre territoire. Mais il ne suffira pas que nous l’ayons, avec le concours de nos chers et admirables alliés, chassé de chez nous, pour que nous nous tenions pour satisfaits. Nous voulons sur son territoire entrer, comme il se doit, en vainqueurs. […]

C’est pour cela que l’avant-garde française est entrée à Paris coups de canon. C’est pour cela que la grande armée française d’Italie a débarqué dans le Midi et remonte rapidement la vallée du Rhône. C’est pour cela que nos braves et chères forces de l’intérieur vont devenir des unités bien armées. C’est pour avoir cette revanche, cette vengeance, que nous saurons continuer de nous battre jusqu’au dernier jour, jusqu’au jour de la victoire complète et totale, la seule qui saura nous satisfaire. Ce devoir de guerre, tous les hommes qui sont ici et ceux qui nous entendront en France, savent bien qu’il comporte d’autres devoirs, dont le principal s’appelle l’unité nationale. […]

La nation n’admettrait pas, dans la situation où elle se trouve, que cette unité soit rompue. La nation sait bien que pour vaincre, pour se reconstruire et pour être grande, il lui faut avoir avec elle tous ses fils. La nation sait bien que ses fils et ses filles, hormis quelques malheureux traîtres, qui se sont livrés à l’ennemi ou lui ont livré les autres et qui connaîtront la rigueur des lois, tous les fils de France marchent et marcheront pour le combat de la France, la main dans la main. […] Vive la France ! »

 

Allocution du général DE GAULLE devant l’Hôtel de ville de Paris, 25 août 1944

« Les départements d’Algérie constituent une partie de la République française » (P. MENDES-FRANCE, 1954)

« Il y a quelques semaines à peine, je m’étais fait votre interprète, l’interprète de l’émotion ressentie par tous les Français devant la catastrophe qui, dans la région d’Orléansville, venait d’endeuiller l’Algérie*. J’avais alors affirmé la solidarité de la nation entière avec les populations éprouvées. L’Algérie, hélas ! vient d’être frappée à nouveau, et cette fois la violence provient de la volonté criminelle de quelques hommes, mais elle n’est pas moins cruelle, inutile et aveugle. A nouveau la nation doit s’affirmer unie et solidaire devant le malheur, devant les forces de destruction. Vous pouvez être certains, en tout cas, qu’il n’y aura, de la part du Gouvernement, ni hésitation, ni atermoiement, ni demi-mesure dans les dispositions qu’il prendra pour assurer la sécurité et le respect de la loi. Il n’y aura aucun ménagement contre la sédition, aucun compromis avec elle, chacun ici et là-bas doit le savoir. On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la nation, l’unité, l’intégrité de la République. Les départements d’Algérie constituent une partie de la République française. Ils sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable. Leurs populations, qui jouissent de la citoyenneté française et sont représentées au Parlement, ont d’ailleurs donné, dans la paix comme autrefois dans la guerre, sans distinction d’origine ou de religion, assez de preuves de leur attachement à la France pour que la France à son tour ne laisse pas mettre en cause cette unité. Entre elles et la métropole il n’y a pas de sécession concevable. Cela doit être clair une fois pour toutes et pour toujours aussi bien en Algérie et dans la métropole qu’à l’étranger. (Applaudissements à gauche, au centre, à droite et à l’extrême droite). Jamais la France, aucun Gouvernement, aucun Parlement français, quelles qu’en soient d’ailleurs les tendances particulières, ne cédera sur ce principe fondamental. »

 

*L’auteur évoque ici le tremblement de terre du 9 septembre 1954 faisant 1 500 morts.

 

Discours de Pierre MENDES-FRANCE, président du Conseil, à l’Assemblée nationale le 12 novembre 1954

George BUSH affirme l’enjeu énergétique de la guerre du Golfe (septembre 1990)

« L’Irak à lui seul possède environ 10 % des réserves pétrolières mondiales. L’Irak plus le Koweït en possèdent le double. Si on permettait à l’Irak d’absorber le Koweït, il aurait, en plus de l’arrogance, la puissance économique et militaire nécessaire pour intimider et forcer la main à ses voisins – des voisins qui ont la part du lion des réserves pétrolières du monde. Nous ne pouvons pas permettre qu’une ressource aussi essentielle soit dominée par un être aussi tyrannique [Saddam HUSSEIN]. Et nous ne le permettrons pas. Les récents évènements ont certainement montré qu’il n’existe pas de substitut au leadership américain. Face à la tyrannie, que personne ne doute de la crédibilité et du sérieux des Etats-Unis. Que personne ne doute de notre détermination. Nous défendrons nos amis. D’une façon ou d’une autre, le dirigeant de l’Irak doit apprendre cette vérité fondamentale.
Dès le début, en agissant en étroite coopération avec d’autres, nous avons cherché à modeler la réponse la plus large possible à l’agression irakienne. La coopération internationale et la condamnation de l’Irak ont atteint un degré sans précédent. […]
De concert avec nos amis et alliés, les bâtiments de la marine nationale des Etats-Unis patrouillent aujourd’hui dans les eaux du Moyen-Orient. Ils ont déjà intercepté plus de sept cents navires dans le cadre de l’application des sanctions. Trois dirigeants de la région avec lesquels j’ai parlé hier m’ont dit que ces sanctions donnaient des résultats. L’Irak commence à en sentir les effets. Nous continuons d’espérer que les dirigeants irakiens réévalueront le coût de leur agression. Ils sont coupés du commerce mondial. Ils ne peuvent plus vendre de pétrole. Et seule une proportion très faible des marchandises leur parvient. […]
Pour aider à couvrir les frais, les dirigeants de l’Arabie Saoudite, du Koweït et des Emirats arabes unis se sont engagés à fournir à nos forces sur le terrain les vivres et le carburant dont elles ont besoin. Une aide généreuse sera également fournie aux vaillants pays de la ligne de front, tels que la Turquie et l’Egypte. […]
Cette crise a également un coût sur le plan énergétique. Les pays producteurs de pétrole sont déjà en train de compenser la production perdue de l’Irak et du Koweït. Plus de la moitié des pertes ont été compensées. Nous obtenons une coopération superbe. Si les producteurs, dont les Etats-Unis, continuent de prendre des mesures en vue d’accroître la production de pétrole et de gaz, nous pourrons stabiliser les prix et garantir qu’il n’y aura pas de difficultés. En outre, plusieurs de nos alliés et nous-mêmes avons toujours la possibilité de tirer sur nos réserves stratégiques de pétrole, si les circonstances l’exigent. Comme je l’ai déjà souligné, il est essentiel de s’efforcer de maintenir à un niveau aussi faible que possible nos besoins d’énergie.
Nous devons ensuite tirer parti de toutes nos sources d’énergie : charbon, gaz naturel, énergie hydroélectrique et énergie nucléaire. Notre inaction sur ce plan nous a rendus plus dépendants que jamais du pétrole étranger. Enfin, que personne ne songe à profiter de cette crise. »

 

Discours du président américain George BUSH au Congrès, le 11 septembre 1990
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