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Les prémisses de la « révolution paxtonienne » vus par Jean-Pierre AZEMA (1997)

Les 26 et 27 septembre 1997 est organisé à la Maison française de l’université Columbia (New York) un colloque international en l’honneur de l’historien Robert O. PAXTON ; l’historien français Jean-Pierre AZEMA y participe.

 

« J’ai intitulé un peu pompeusement ma communication : “La révolution paxtonienne”. Mais, comme pour bon nombre de révolutions, elle a été précédée par des signes annonciateurs, en l’occurrence des ouvrages dont je parlerai brièvement. […]

Je parlerai en premier lieu de la thèse d’Eberhard JÄCKEL, parue à Stuttgart en 1966 et traduite en français en 1968 sous le titre La France dans l’Europe de Hitler. C’est un livre très solide, minutieux, nourri de sources allemandes, jusque-là presque totalement négligées par les historiens français, et qui présentait l’intérêt majeur de contrebattre les présupposés aroniens : JÄCKEL démontrait, preuves à l’appui, que Vichy avait été à la remorque d’un HITLER maître du jeu, par ailleurs fort peu enclin à collaborer, se refusant à toute concession d’ordre politique ; du même coup devenait compréhensible le piège allemand, l’engrenage d’une collaboration d’État qui devint de plus en plus insupportable après la coupure décisive que fut novembre 1942. En France, le livre passa relativement inaperçu ; d’autant que dans un premier temps les événements de 1968 suscitèrent des interrogations d’un autre ordre.

Les thèses de JÄCKEL furent affinées par l’ouvrage d’Alan MILWARD, publié chez Oxford University Press en 1970, The New Order and the French Economy, mais dont on retint surtout l’idée que la France avait été la vache à lait la plus exploitée de l’Europe occupée. […]

Le troisième ouvrage à prendre en considération est le livre que Henri MICHEL publie chez Laffont en 1966 : Vichy, année 40. Il n’était pas à négliger par PAXTON, parce qu’il sut se dégager des seuls procès de Haute Cour pour prendre en compte les cinq volumes de la Délégation française auprès de la Commission française d’armistice et deux volumes des archives de Wilhlemstrasse ; ce qui lui permit d’inverser les perspective aroniennes, et de donner de Montoire une interprétation enfin plus satisfaisante. Il ajoutait – et ce point était important – que « dans une certaine mesure, la Révolution nationale s’inspire de la collaboration » ; mais il ne parvenait pas vraiment à échapper à un parti pris assez courant à l’époque – qui transformait Vichy en une sorte de cour du roi Pétaud, en un régime aux fruits secs. Henri MICHEL, par exemple, reprenait quasi à son compte une déclaration faite par TROCHU [témoin] lors du procès Pétain : « Les choses se passaient dans ce royaume de Vichy comme dans ces royaumes nègres où ce n’est pas le roi qui gouverne, surtout quand il est vieux. » Ce qui l’amenait à sous-estimer la spécificité du nouveau régime et, partant, les retombées potentielles des mesures d’exclusion et de répression.

Dernière donnée, le colloque tenu en 1970 à la Fondation nationale de sciences politiques sous la direction de René REMOND. À noter – et c’est parfaitement significatif des difficultés qu’on pouvait rencontrer à évoquer Vichy dans un colloque – qu’un Henri MICHEL refusa d’y participer, arguant que des acteurs de Vichy allaient être entendus et que, globalement, cette entreprise visait à banaliser et donc à réhabiliter Vichy. REMOND dut longuement justifier le projet dans l’introduction qu’il rédigea quand les actes furent publiés. Henri MICHEL aurait été mieux inspiré de souligner qu’était exclusivement pris en compte le « bon » Vichy puisque les études s’arrêtaient à 1942 et que pas un mot ou presque n’était dit de la répression ou de l’exclusion des juifs. »

 

Jean-Pierre AZEMA, « La révolution paxtonienne » in Sarah FISHMAN (dir.), La France sous Vichy. Autour de Robert O. Paxton, Complexe, coll. « Histoire du temps présent », 2004, p. 23-25

Dès 1966, Henri MICHEL remet en cause le travail de Robert ARON sur Vichy

« Le régime de Vichy a commencé […] son existence par une double erreur, qui allait se révéler irréparable : conviction que la guerre était achevée pour la France avec la défaite de ses armées ; illusion qu’un gouvernement demeuré en France pourrait affirmer un minimum d’indépendance vis-à-vis du vainqueur. […]

Cette double erreur explique toute la politique de Vichy ; elle la rend parfaitement cohérente, mais aussi parfaitement vaine […]. Puisque l’Angleterre avait perdu la guerre, l’habileté semblait commander la rupture avec elle. À aucun moment, aucun des gouvernants de Vichy, pendant ces six premiers mois du régime, n’a pensé que la France pourrait un jour reprendre le combat aux côtés de la Grande-Bretagne. […]

Si le pire ne s’est pas produit, si le renversement d’alliances n’a pas eu lieu, si la France ne s’est pas trouvée engagée plus tard aux côtés de l’Allemagne, aux plus mauvaises heures du nazisme, c’est que HITLER ne l’a pas voulu. […]

La collaboration n’est donc pas le résultat d’un plan allemand méthodique, obstinément poursuivi, auquel une partie des dirigeants de Vichy se serait dérobée, tandis qu’une autre s’y serait soumise, avec plus ou moins de résignation ou d’empressement. C’est une politique imaginée par le gouvernement de Vichy, unanime, derrière le maréchal PETAIN, et ce sont les Allemands qui, après l’avoir envisagée un moment avec faveur, n’ont plus voulu s’y engager, quand ils n’y ont plus découvert d’intérêt.

Dans une certaine mesure, la Révolution nationale s’inspirait de la collaboration. Diplomatiquement, pensait-on à Vichy, il valait mieux inspirer confiance au vainqueur en lui montrant un visage apprêté pour lui plaire, à savoir un régime français proche du sien […]. Politiquement, puisque les régimes totalitaires avaient gagné la guerre, et que, de toute évidence, ils dirigeraient le monde pendant longtemps, il paraissait de bonne tactique d’appliquer à la France, pour asseoir son relèvement, les méthodes qui leur avaient assuré la victoire.

En fait les dirigeants de Vichy étaient trop âgés, et leur pensée trop sclérosée, pour vouloir réellement engager la France dans la voie d’un fascisme, dont la violence et le caractère populaire les effrayaient. Leurs préférences allaient à une réaction politique annulant progressivement soixante-dix ans d’erreurs républicaines, sinon même cent cinquante années d’égarement démocratique, provoqué par la mise en application des « principes de 1789 ». […]

La défaite de la France permettait ainsi l’assouvissement de passions partisanes. Par suite, non seulement la Révolution nationale, par son archaïsme, ne donna en aucune façon à la France les armes, matérielles ou spirituelles, dont elle avait besoin pour son relèvement, mais en outre elle ne fit qu’accroître la division des Français, en présence de l’occupant et à son profit. Elle rechercha des coupables, elle épura, elle sanctionna, elle créa des catégories de réprouvés. Elle manqua ainsi les buts qu’elle s’était fixés.

La défaite des armées françaises, dont la convention d’armistice était la sanction, remettait le sort de la France à son implacable vainqueur. Incapables désormais d’infléchir le cours du destin, les Français ne conservaient quelque chance de préserver leur avenir que par le comportement qu’ils adopteraient à l’égard du Reich. […] Les dirigeants de Vichy choisirent l’acceptation, qu’ils baptisèrent collaboration, dès le 17 juillet 1940. […]

Le gouvernement de Vichy recula toujours devant les conséquences possibles d’une affirmation de son indépendance : la rupture de la convention d’armistice, et l’invasion de la zone sud par la Wehrmacht. A la première manifestation de colère de l’occupant, il se soumettait.

Ainsi il n’utilisa jamais au mieux les quelques atouts que l’armistice lui avait laissés ; il ne joua pas de la crainte qu’inspirait à HITLER une utilisation possible de ces atouts par la Grande-Bretagne ; il n’envisagea à aucun moment, par exemple, de se transférer à Alger – même pas au lendemain du 13 décembre.

C’est que jamais les dirigeants de Vichy n’imaginèrent que la France pouvait jouer encore un rôle clans la guerre, pour sa propre libération. Reprendre le combat, c’était reconnaître que la demande d’armistice avait été une erreur, que le Maréchal n’était pas infaillible, et que le général DE GAULLE avait raison ; c’était renoncer à la “régénération” de la France par la Révolution nationale, pour des partisans à qui la défaite avait donné un pouvoir que la Révolution nationale leur permettrait de conserver […].

Pour son salut, il ne restait plus au peuple français qu’à se préparer à livrer son propre combat, en dehors des chefs et du régime que la défaite provisoire de ses armées lui avait imposé. »

 

Henri MICHEL (secrétaire général du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale), Vichy. Année 40, Fayard, 1966, p. 432-438 (conclusion de l’ouvrage).

La thèse du bouclier et de l’épée (Robert ARON)

Écrit par l’essayiste et académicien Robert ARON (avec l’aide d’une jeune historienne, Georgette ELGEY), La France de Vichy est publié en 1954 et reste jusqu’aux années 1960 un ouvrage de référence sur ces « années noires ». La thèse du bouclier et de l’épée sera battue en brèche dès 1966 par l’historien Henri MICHEL (secrétaire général du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, auteur de Vichy. Année 40), puis par Robert PAXTON.

Écrit sous forme de récit, sans références précises, utilisant des documents dits « inédits » (avant tout les sténographies non publiées de procès de Haute Cour), l’ouvrage affirme envisager l’objectivité et formule même des critiques sur le régime (PETAIN est blâmé pour avoir manqué l’occasion de se dégager de l’emprise allemande en février 1941, et encore plus pour avoir transformé, en novembre 1943, l’État français en une “principauté de Gerolstein”). Pourtant, sans être explicitement formulées, des thèses sont bien sous-jacentes : l’idée du bouclier vichyste (les responsables de Vichy se seraient conduits honorablement contre HITLER) ou l’opposition entre le Vichy de LAVAL et le bon Vichy dont rien n’est dit, ou presque, de la politique d’exclusion et de répression.

L’historien Jean-Pierre AZEMA affirmera en 1992 que « cet ouvrage, écrit par un non-conformiste des années 1930 qui avait manifesté une sensibilité giraudiste, venait à son heure et rencontra l’adhésion de tous ceux qui ne s’étaient pas engagés dans la Résistance et avaient besoin de thèses rassurantes » (Jean-Pierre AZEMA, « Vichy et la mémoire savante : quarante-cinq ans d’historiographie » in Jean-Pierre AZEMA et François BEDARIDA (dir.), Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, p. 27).

 

« L’armistice, dont la conclusion constitue le premier acte du gouvernement, n’a cessé depuis sa signature de diviser l’opinion. C’est un des plus grands sujets de discorde qui se posent à propos de la politique menée par PETAIN. […]

Pour Philippe PETAIN, la guerre est finie, une guerre qui, selon lui, n’est que le troisième épisode, en soixante-dix ans, des conflits franco-allemands : 1914 avait été la reprise de 1870 ; 1939-1940 est à son tour celle de 1914. La décision militaire intervenue, c’est par un lent et patient travail de négociations avec le vainqueur et de redressement du vaincu que celui-ci peut se relever ; le premier devoir d’un chef de gouvernement est de protéger les Français demeurés en France.

Pour Charles DE GAULLE, au contraire, la guerre commence seulement. Une guerre d’une autre nature, d’une autre époque que les conflits précédents. Une guerre à l’échelle mondiale, où la France, qui a perdu la première bataille, peut avec ses alliés et son Empire être présente à la victoire.

Ce qui plus encore différencie les deux attitudes, les deux hommes et les deux camps entre lesquels jusqu’à nos jours vont se partager les Français, ce sont deux attitudes sentimentales opposées, deux conceptions de l’honneur. […]

L’honneur qu’allègue le maréchal PETAIN, c’est l’honneur d’un gouvernement qui a su maintenir les données de son indépendance et protège les populations : en un mot, c’est l’honneur civique. Celui qu’invoque le général DE GAULLE, c’est l’honneur militaire pour qui s’avouer vaincu est toujours un acte infamant.

De ces honneurs, il se peut que l’un soit plus impérieux, plus instinctif, plus spontané. L’autre existe, sur un mode sans doute moins éclatant, mais il est pourtant réel.

Le premier correspondait à l’aventure exaltante, mais d’apparence désespérée, dont Charles DE GAULLE est l’annonciateur. Le second à l’épreuve lente et douloureuse dont Philippe PETAIN ne prévoyait ni la durée ni la fin.

Tous deux étaient également nécessaires à la France. Selon le mot que l’on prêtera successivement à PETAIN et à DE GAULLE : “Le Maréchal était le bouclier, le Général l’épée.”

Pour l’immédiat, le Maréchal parut avoir raison ; pour l’avenir, le général a vu plus juste. Il n’en résulte pas que son adversaire soit coupable, pour avoir signé l’armistice : “L’armistice, a déclaré en Haute-Cour le procureur général MORNET, qui fut un des plus acharnés à requérir contre Vichy, est un fait ; l’armistice ne constitue pas un des chefs de l’accusation : c’est la préface de l’accusation.” Qui pourrait, en pareille matière, se montrer plus implacable que MORNET ?

Au maréchal PETAIN, en juin 1940, l’armistice apparaît, en tout cas, comme la préface d’une entreprise de rénovation nationale qui est urgente et nécessaire. »

 

Robert ARON, Histoire de Vichy (1940-1944), Fayard, 1954, p. 90-95

Le discours de DE GAULLE à Paris le 25 août 1944 : les débuts du mythe résistancialiste

Dans son discours du 25 août 1944, à l’Hôtel de ville de Paris, le général DE GAULLE pose, selon l’historien Henry ROUSSO, la « première pierre du mythe fondateur de l’après-Vichy ».

 

« Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l’émotion qui nous étreint tous, hommes et femmes, qui sommes ici chez nous, dans Paris libéré, debout ? Non, nous ne dissimulerons pas ici cette émotion profonde et sacrée. Il y a là des minutes dont nous savons tous qu’elles dépassent chacune de nos pauvres vies. Paris, Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré, libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France qui se bat c’est-à-dire la vraie France, la France éternelle. […]

Eh bien ! puisque Paris est libre puisque l’ennemi qui le tenait a capitulé dans nos mains, la France rentre à Paris chez elle. Elle y rentre sanglante, mais elle y rentre bien résolue. Elle y rentre éclairée par d’amères leçons, mais elle y rentre plus certaine que jamais de ses devoirs et de ses

droits. J’ai dit d’abord de ses devoirs, ce qui exprime tout pour le moment. Nous savons qu’il s’agit de la guerre. L’ennemi n’est pas encore abattu, il en reste sur notre territoire. Mais il ne suffira pas que nous l’ayons, avec le concours de nos chers et admirables alliés, chassé de chez nous, pour que nous nous tenions pour satisfaits. Nous voulons sur son territoire entrer, comme il se doit, en vainqueurs. […]

C’est pour cela que l’avant-garde française est entrée à Paris coups de canon. C’est pour cela que la grande armée française d’Italie a débarqué dans le Midi et remonte rapidement la vallée du Rhône. C’est pour cela que nos braves et chères forces de l’intérieur vont devenir des unités bien armées. C’est pour avoir cette revanche, cette vengeance, que nous saurons continuer de nous battre jusqu’au dernier jour, jusqu’au jour de la victoire complète et totale, la seule qui saura nous satisfaire. Ce devoir de guerre, tous les hommes qui sont ici et ceux qui nous entendront en France, savent bien qu’il comporte d’autres devoirs, dont le principal s’appelle l’unité nationale. […]

La nation n’admettrait pas, dans la situation où elle se trouve, que cette unité soit rompue. La nation sait bien que pour vaincre, pour se reconstruire et pour être grande, il lui faut avoir avec elle tous ses fils. La nation sait bien que ses fils et ses filles, hormis quelques malheureux traîtres, qui se sont livrés à l’ennemi ou lui ont livré les autres et qui connaîtront la rigueur des lois, tous les fils de France marchent et marcheront pour le combat de la France, la main dans la main. […] Vive la France ! »

 

Allocution du général DE GAULLE devant l’Hôtel de ville de Paris, 25 août 1944

« Les départements d’Algérie constituent une partie de la République française » (P. MENDES-FRANCE, 1954)

« Il y a quelques semaines à peine, je m’étais fait votre interprète, l’interprète de l’émotion ressentie par tous les Français devant la catastrophe qui, dans la région d’Orléansville, venait d’endeuiller l’Algérie*. J’avais alors affirmé la solidarité de la nation entière avec les populations éprouvées. L’Algérie, hélas ! vient d’être frappée à nouveau, et cette fois la violence provient de la volonté criminelle de quelques hommes, mais elle n’est pas moins cruelle, inutile et aveugle. A nouveau la nation doit s’affirmer unie et solidaire devant le malheur, devant les forces de destruction. Vous pouvez être certains, en tout cas, qu’il n’y aura, de la part du Gouvernement, ni hésitation, ni atermoiement, ni demi-mesure dans les dispositions qu’il prendra pour assurer la sécurité et le respect de la loi. Il n’y aura aucun ménagement contre la sédition, aucun compromis avec elle, chacun ici et là-bas doit le savoir. On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la nation, l’unité, l’intégrité de la République. Les départements d’Algérie constituent une partie de la République française. Ils sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable. Leurs populations, qui jouissent de la citoyenneté française et sont représentées au Parlement, ont d’ailleurs donné, dans la paix comme autrefois dans la guerre, sans distinction d’origine ou de religion, assez de preuves de leur attachement à la France pour que la France à son tour ne laisse pas mettre en cause cette unité. Entre elles et la métropole il n’y a pas de sécession concevable. Cela doit être clair une fois pour toutes et pour toujours aussi bien en Algérie et dans la métropole qu’à l’étranger. (Applaudissements à gauche, au centre, à droite et à l’extrême droite). Jamais la France, aucun Gouvernement, aucun Parlement français, quelles qu’en soient d’ailleurs les tendances particulières, ne cédera sur ce principe fondamental. »

 

*L’auteur évoque ici le tremblement de terre du 9 septembre 1954 faisant 1 500 morts.

 

Discours de Pierre MENDES-FRANCE, président du Conseil, à l’Assemblée nationale le 12 novembre 1954

La géographie du pétrole au Moyen-Orient

« Qui dit hydrocarbures pense au Moyen-Orient. Pour être plus précis, ce sont les régions du golfe Persique et de l’ouest iranien qui en sont le plus richement dotées. Les principaux gisements se trouvent disposés de part et d’autre d’un axe orienté nord-ouest/sud-est. Ainsi, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, le Qatar, l’Iran et l’Irak sont-ils très bien dotés tandis que les pays les plus éloignés de cet axe sont beaucoup moins riches, à l’instar de l’Égypte ou de la Syrie […]
Avec plus de 50 % des réserves prouvées de pétrole et 40 % de celles en gaz, le Moyen-Orient est ainsi le cœur de la production mondiale d’hydrocarbures. Cette abondance des gisements combinée à leur faible profondeur explique la faiblesse de leurs coûts d’extraction et leur compétitivité indétrônable. Ils offrent aux pays de la région une grosse rente mais représentent également une série de difficultés géopolitiques […] Avec la montée de l’économie pétrolière, le canal de Suez est devenu un point névralgique. L’abondance énergétique de la région oblige en effet à la sécurisation des voies d’acheminement […]
Tout comme le canal, les détroits du Moyen-Orient (Ormuz, Bab-el-Mandeb et Bosphore) sont des points particulièrement stratégiques. Constituant un point de resserrement des voies de circulation, ils correspondent à des zones facilitant la surveillance mais aussi des tentatives d’entraves au commerce : quelque 30 % des volumes mondiaux d’hydrocarbures empruntent ces couloirs.
Haut lieu des affrontements de la guerre entre l’Irak et l’Iran […], Ormuz est le détroit le plus important au monde en terme de trafic pétrolier […] Les États-Unis y ont déployé un dispositif impressionnant : la cinquième flotte américaine basée à Manama au Bahreïn, des patrouilles de porte-avions nucléaires et des renforts de la base de Diego Garcia dans l’océan indien. […]
L’héritage des frontières tracées dans les années 1920, la production d’idéologies de plus en plus exclusives et de régimes politiques autoritaires, ainsi que la singularité géographique d’une région marquée par l’abondance et la rareté ont créé un état de conflictualité dont le Moyen-Orient ne parvient pas à s’extraire. Comme un orage qui tournoie de façon incessante dans un ciel agité, la guerre finit par s’abattre régulièrement sur l’un ou l’autre des territoires du Moyen-Orient. Hier les guerres inter-étatiques israélo-arabes (1948, 1967 et 1973), le conflit irako-iranien (1980 à 1988) et les interventions internationales (1991) puis américaine (2003) en Irak, aujourd’hui les guerres civiles en Syrie et au Yémen. »

 

Pierre BLANC et Jean-Paul CHAGNOLLAUD, Atlas du Moyen-Orient, Éditions Autrement, 2016, p. 52, 58, 59 et 69

Quelques éléments de synthèse des relations entre les Etats-Unis et le continent américain

« En novembre 2013, tout juste nommé secrétaire d’État, John KERRY lance devant les membres de l’Organisation des États d’Amérique que « la doctrine Monroe est révolue » […] La doctrine Monroe nous replonge en 1823. À écouter le président américain James MONROE, les États-Unis n’ont pas vocation à conquérir l’Amérique latine mais simplement à soutenir les mouvements d’émancipation nationale, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes face aux appétits des puissances européennes. […] En réalité, sous couvert de défense des nouveaux États-nations d’Amérique latine, le slogan « l’Amérique aux Américains » masque mal l’ambition impérialiste des États-Unis sur leur continent – même si cette dernière reste discrète jusqu’au crépuscule du XIXe siècle. […]
Après la Seconde Guerre mondiale, l’impératif de la Guerre froide laisse entrevoir le retour de la « big stick policy »1. […] C’est notamment en 1954 l’intervention concertée du gouvernement américain, de la CIA et de United Fruit2 qui conduit au coup d’État de Castillo ARMAS qui renverse le président guatémaltèque ARBENZA, coupable d’avoir entamé une réforme agraire mettant en péril les intérêts de United Fruit. En 1960, la révolution cubaine puis la rupture des relations diplomatiques entre La Havane et Washington est un choc. Non seulement l’Amérique ne parvient pas à renverser le régime castriste – souvenons-nous du fiasco de la baie des Cochons – mais en plus le nouveau régime se rapproche de l’URSS et promet de diffuser la révolution sur l’ensemble du continent. L’Alliance pour le progrès de KENNEDY paraît inefficace au couple NIXON/KISSINGER qui, pour endiguer le communisme dans les années 1970, préfère une politique plus proactive, qui passe par le soutien secret à l’opération Condor3. […]
Sous CARTER le ton change. Bien décidé à respecter partout les droits de l’homme, le nouveau président américain (1977-1981) abandonne cette politique des coups tordus. Cela se traduit notamment par l’annonce du retour à la souveraineté du Panama sur le canal. Mais le retour au pouvoir des républicains avec Ronald REAGAN (1981-1989) marque une reprise des interventions directes ou indirectes sur le continent. Économiquement d’abord : la crise de la dette au Mexique en 1982 puis dans de nombreux autres pays du sous-continent implique un interventionnisme fort (quoiqu’indirect) des États-Unis via le FMI et la Banque mondiale. La mainmise est ainsi idéologique : le consensus de Washington4 s’abat sur le continent. Militairement ensuite : en octobre 1983, Reagan ordonne l’invasion de l’île de Grenade dans les Antilles où un coup d’État en 1979 avait amené au pouvoir un gouvernement marxiste-léniniste. […]
Mais c’est surtout la démocratisation de l’Amérique latine et la fin de la Guerre froide qui bouleversent les relations entre les États-Unis et le reste de l’Amérique. Dans les années 2000, à la suite du virage à gauche de l’Amérique latine, les États-Unis paraissent perdre la main sur un continent qu’ils ont délaissé dans les années 1990, la menace communiste s’étant alors évanouie. Le projet de marché commun américain allant de l’Alaska à la Terre de feu […], imaginé par George H. BUSH en 1992, est enterré. […] Ne reste qu’un premier tronçon inauguré en 1994 : l’ALENA, zone de libre-échange nord-américaine ne concernant que le Canada, les États-Unis et le Mexique. […]
Les nations latino-américaines ont abandonné les politiques économiques dites « du consensus de Washington », privilégiant dans un premier temps une affirmation clairement nationaliste qui s’est traduite par des vagues de nationalisations ou des prises de contrôle direct par l’État de sociétés publiques en Argentine, en Bolivie et au Venezuela. Toutefois, elles construisent également des organisations régionales autonomes des États-Unis : ALBA (Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique), CALC (Sommet d’Amérique latine et de la Caraïbe), UNASUR (Union des nations d’Amérique du Sud). […] Mais si l’Amérique latine se détourne alors des États-Unis, ce n’est pas uniquement en raison de l’élection de majorités de gauche. Il y a aussi la montée en puissance de la Chine, qui constitue désormais le partenaire économique d’avenir pour la région. »

 

1 – Big stick policy : « politique du gros bâton », c’est-à-dire l’action militaire directe.
2 – United Fruit : entreprise américaine de production et de commerce de fruits exotiques.
3 – Opération Condor : opération de soutien aux dictatures anti-socialistes et anti-communistes.
4 – Consensus de Washington : ensemble de mesures libérales imposées aux pays en difficulté économique pour bénéficier des aides financières de la Banque Mondiale et du FMI, deux institutions financières internationales installées à Washington.

 

Thomas SNÉGAROFF et Alexandre ANDORRA, Géopolitique des États-Unis, Presses Universitaires de France, 2016, p. 122, 123 et 124

George BUSH affirme l’enjeu énergétique de la guerre du Golfe (septembre 1990)

« L’Irak à lui seul possède environ 10 % des réserves pétrolières mondiales. L’Irak plus le Koweït en possèdent le double. Si on permettait à l’Irak d’absorber le Koweït, il aurait, en plus de l’arrogance, la puissance économique et militaire nécessaire pour intimider et forcer la main à ses voisins – des voisins qui ont la part du lion des réserves pétrolières du monde. Nous ne pouvons pas permettre qu’une ressource aussi essentielle soit dominée par un être aussi tyrannique [Saddam HUSSEIN]. Et nous ne le permettrons pas. Les récents évènements ont certainement montré qu’il n’existe pas de substitut au leadership américain. Face à la tyrannie, que personne ne doute de la crédibilité et du sérieux des Etats-Unis. Que personne ne doute de notre détermination. Nous défendrons nos amis. D’une façon ou d’une autre, le dirigeant de l’Irak doit apprendre cette vérité fondamentale.
Dès le début, en agissant en étroite coopération avec d’autres, nous avons cherché à modeler la réponse la plus large possible à l’agression irakienne. La coopération internationale et la condamnation de l’Irak ont atteint un degré sans précédent. […]
De concert avec nos amis et alliés, les bâtiments de la marine nationale des Etats-Unis patrouillent aujourd’hui dans les eaux du Moyen-Orient. Ils ont déjà intercepté plus de sept cents navires dans le cadre de l’application des sanctions. Trois dirigeants de la région avec lesquels j’ai parlé hier m’ont dit que ces sanctions donnaient des résultats. L’Irak commence à en sentir les effets. Nous continuons d’espérer que les dirigeants irakiens réévalueront le coût de leur agression. Ils sont coupés du commerce mondial. Ils ne peuvent plus vendre de pétrole. Et seule une proportion très faible des marchandises leur parvient. […]
Pour aider à couvrir les frais, les dirigeants de l’Arabie Saoudite, du Koweït et des Emirats arabes unis se sont engagés à fournir à nos forces sur le terrain les vivres et le carburant dont elles ont besoin. Une aide généreuse sera également fournie aux vaillants pays de la ligne de front, tels que la Turquie et l’Egypte. […]
Cette crise a également un coût sur le plan énergétique. Les pays producteurs de pétrole sont déjà en train de compenser la production perdue de l’Irak et du Koweït. Plus de la moitié des pertes ont été compensées. Nous obtenons une coopération superbe. Si les producteurs, dont les Etats-Unis, continuent de prendre des mesures en vue d’accroître la production de pétrole et de gaz, nous pourrons stabiliser les prix et garantir qu’il n’y aura pas de difficultés. En outre, plusieurs de nos alliés et nous-mêmes avons toujours la possibilité de tirer sur nos réserves stratégiques de pétrole, si les circonstances l’exigent. Comme je l’ai déjà souligné, il est essentiel de s’efforcer de maintenir à un niveau aussi faible que possible nos besoins d’énergie.
Nous devons ensuite tirer parti de toutes nos sources d’énergie : charbon, gaz naturel, énergie hydroélectrique et énergie nucléaire. Notre inaction sur ce plan nous a rendus plus dépendants que jamais du pétrole étranger. Enfin, que personne ne songe à profiter de cette crise. »

 

Discours du président américain George BUSH au Congrès, le 11 septembre 1990

Les expatriés français de plus en plus nombreux (Le Monde, 2015)

« En 2014, 1,68 million de Français vivaient officiellement hors des frontières nationales, soit 2,3 % de plus qu’en 2013. […] « Cette hausse est conforme aux précédentes. Entre 2012 et 2013, nous avons connu une augmentation de 2 % du nombre de Français installés à l’étranger et inscrits dans les consulats. Si l’on remonte plus loin, nous avons déjà connu des années à 3 % », rappelle Christophe BOUCHARD, directeur au Quai d’Orsay des Français de l’étranger. Pour avoir été en poste sur tous les continents, M. BOUCHARD connaît les expatriés autrement que par les statistiques. Depuis les différentes ambassades où il a travaillé, il a pu observer un glissement entre le classique expatrié et un nouveau profil plus aventurier, venu développer un projet dans des zones au dynamisme économique fort. Ainsi, les Emirats Arabes Unis illustrent ces pays qui connaissent une jonction de deux populations différentes. La communauté des 19 324 Français qui y est installée se partage entre « une partie importante d’expatriés au sens classique du terme, c’est-à-dire de personnes travaillant pour une entreprise française, envoyées là-bas quelque temps ; et un nombre important de Français venus tenter leur chance par eux-mêmes ». Dans cette zone qui a connu entre 2013 et 2014 une hausse de 11 % du nombre de Français [inscrits dans les consulats], « on croise beaucoup de cadres travaillant dans les services, le tourisme ou dans le bâtiment. Parfois aussi des artisans font le déménagement depuis la France », rappelle M. BOUCHARD. […] En dépit du faible taux d’augmentation globale des départs de France, trois groupes de pays connaissent une hausse des installations, de l’ordre de 5 % ou plus : l’Afrique du Nord, l’Amérique du Nord et l’Asie-Océanie. L’Australie est un des pays phare de ce dernier groupe avec une hausse de 9 % des [inscriptions] de Français en 2014. Avec 22 539 ressortissants enregistrés, l’île-continent se place 18e pays d’accueil. Si l’on veut approcher le nombre réel de Français installés en Australie, il faut multiplier par trois les personnes inscrites, car là comme ailleurs, l’inscription au consulat est facultative. […]

En Chine, l’inscription est assez courante. Et contre toute attente, ce pays ne figure pas dans la liste des pays qui attirent le plus aujourd’hui. Entre 2013 et 2014, son solde migratoire de population française est même nul. Une rupture alors que le pays plaisait beaucoup depuis dix ou quinze ans. « Des arrivées importantes de Français ont accompagné les implantations d’entreprises françaises ; mais il semblerait qu’aujourd’hui ces entreprises fassent plus appel à des locaux. S’ajoutent deux autres facteurs : d’une part une modification de la loi sur les stagiaires et les VIE [volontariat international en entreprise], et d’autre part, la récurrence du problème de pollution », rappelle le diplomate. Selon les enquêtes menées par les autorités françaises auprès des ressortissants vivant à Pékin, la pollution qui touche régulièrement la ville limite l’envie de s’installer là-bas. La moitié des expatriés restent malgré tout installés en Europe. […] »

 

Maryline BAUMARD, « A l’étranger, des expatriés Français plus nombreux et plus aventureux », Le Monde, 12 février 2015

Discours de B. OBAMA justifiant le rapprochement avec Cuba (mars 2016)

« Comme tant de gens dans nos deux pays, au cours de ma vie, je n’ai connu que cette période d’isolement entre nous. La Révolution cubaine a eu lieu l’année où mon père est venu aux États-Unis en provenance du Kenya. L’invasion de la « baie des Cochons » a eu lieu l’année où je suis né. Et l’année suivante, en regardant nos deux pays, le monde entier retenait son souffle : l’humanité s’est approchée plus près que jamais de l’horreur de la guerre nucléaire. Au fil des décennies suivantes, nos gouvernements se sont installés dans une confrontation sans fin, à travers des conflits par tiers interposés. Dans un monde qui se transformait à maintes reprises, une chose demeurait constante, le conflit entre les États-Unis et Cuba. Je suis venu ici pour enterrer le dernier vestige de la Guerre froide dans les Amériques. Je suis venu ici pour tendre la main de l’amitié au peuple cubain.

Je veux être clair. Les différences entre nos gouvernements au cours de ces nombreuses années sont réelles et sont importantes. […] Cuba a un système de parti unique ; les Etats-Unis sont une démocratie multipartite. Cuba a un modèle économique socialiste ; les Etats-Unis pratiquent l’économie de marché. Cuba a mis l’accent sur le rôle et les pouvoirs de l’État ; les Etats-Unis sont fondés sur les droits de l’individu.

Malgré ces différences, le 17 Décembre 2014, le président CASTRO et moi avons annoncé que les Etats-Unis et Cuba devraient entamer un processus de normalisation des relations entre nos pays. […] Pourquoi maintenant ? La réponse est simple : ce que faisaient les États-Unis ne fonctionnait pas. Nous devons avoir le courage de reconnaître la vérité. Une politique d’isolement conçu à l’époque de la Guerre froide n’a guère de sens au XXIe siècle. L’embargo n’a fait du tort qu’au peuple cubain au lieu de l’aider. […] En tant que président des États-Unis, j’ai demandé à notre Congrès de lever l’embargo. C’est un fardeau obsolète pour le peuple cubain. C’est un fardeau pour les Américains qui veulent travailler et faire des affaires ou investir ici à Cuba. Il est temps de lever l’embargo. […]
L’histoire des États-Unis et de Cuba a connu la révolution et le conflit ; la lutte et le sacrifice ; la rétribution et, maintenant, la réconciliation. Il est temps, maintenant, pour nous de laisser derrière le passé. »

 

Discours du président des Etats-Unis Barack OBAMA à La Havane (Cuba) le 22 mars 2016 (discours en intégralité)
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