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Le Manifeste des Dix pour la parité (1996)

« Pourquoi des femmes venues d’horizons divers, aux engagements parfois opposés, ont-elles décidé d’unir leurs voix ?
Ayant en commun d’avoir eu ou d’exercer actuellement des responsabilités publiques, nous voulons, alors que se profile le prochain millénaire dans un monde incertain et une France inquiète, lancer cet appel pour l’égalité des chances et des droits entre hommes et femmes […]. Si les femmes sont en effet citoyennes à l’égal des hommes par leur nombre dans l’électorat et le niveau de leur participation aux scrutins, cette parité ne se retrouve pas, loin s’en faut, dans la proportion d’élus. Cinquante ans après l’instauration du droit de vote des femmes en France, seulement 5% d’entre elles sont sénateurs ou maires, 6% députés ou conseillers généraux. Le scrutin proportionnel améliore sensiblement la représentation féminine, avec 12% des conseillers régionaux et 30% des parlementaires européens. Parmi 20 grands pays développés d’Europe et d’Amérique du Nord, le nôtre est bon dernier pour la représentation des femmes au Parlement, loin derrière les Etats scandinaves, l’Allemagne, l’Espagne. Si bien que, dans l’Union européenne, la France est la lanterne rouge pour la proportion de femmes élues.
Ce n’est pas tout. Seuls 6% des postes « laissés à la discrétion du gouvernement » sont occupés par des femmes: 2,6% des préfets, 2% des ambassadeurs, 5,5% des directeurs d’administration centrale. Sans parler des directions d’entreprises ou d’établissements publics […].
Après les grandes avancées juridiques des années 70 et 80, il est évident que le mouvement vers l’égalité marque le pas, quand il n’y a pas régression. Et la crise aidant, les femmes sont apparemment plus silencieuses sur leurs revendications « spécifiques ». Pourtant, elles ne sont pas dupes. Elles savent ou pressentent qu’elles sont les premières touchées par les licenciements et le chômage, total ou partiel, et que les écarts de salaires persistent, sans parler de l’accès aux postes de décision […].
Voici les mesures que nous proposons:
1 – Une politique volontariste des partis, du gouvernement et des associations féminines conjugués. Les pays nordiques montrent l’efficacité de cette attitude. Quand il le faut, ils n’hésitent pas à utiliser les quotas […]. L’adoption d’un scrutin proportionnel, même partiel pour les législatives, renforcerait cette obligation de quotas […].
2 – Une limitation drastique du cumul des mandats et des fonctions, pour un meilleur partage et exercice du pouvoir. […].
3 – Un financement des partis politiques en fonction du respect de la parité de leurs instances dirigeantes et de leurs élus.
4 – Une nomination volontaire à des postes de responsabilité qui dépendent de l’État et du gouvernement, en se fondant sur un principe de parité.
5 – Une adoption d’une législation sur le sexisme comparable à celle sur le racisme, permettant aux associations de droits de l’homme et de la femme ainsi qu’aux individus d’ester [c’est à dire exercer une action] en justice civilement ou pénalement.
6 – Et s’il faut modifier la Constitution pour introduire des discriminations positives, nous y sommes favorables, comme l’est, nous en sommes persuadées, la majorité de nos concitoyens.
7 – Alors, sur ce sujet, pourquoi pas un référendum ? »

 

Tribune de Michèle BARZACH [ancienne ministre de la Santé et de la Famille], Frédérique BREDIN [ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports], Edith CRESSON [ancienne Première ministre], Hélène GISSEROT [procureure générale], Catherine LALUMIERE [ancienne secrétaire d’Etat], Véronique NEIERTZ [députée de la Seine-Saint-Denis], Monique PELLETIER [ancienne ministre déléguée à la Condition féminine], Yvette ROUDY [ancienne ministre des Droits de la femme], Catherine TASCA [ancienne ministre déléguée à la Communication], Simone VEIL [ancienne ministre de la Santé], publiée dans l’hebdomadaire L’Express du 6 juin 1996

Aurélien, un expatrié français à Sydney (Le Monde, 2012)

A 32 ans, Aurélien LABONNE a fui le chômage et la grisaille parisienne pour la « belle vie » à Sydney. Visa en poche, il a décroché un job bien payé dans une start-up. […]

 

« Avec plus de vingt années consécutives de croissance et un taux de chômage d’environ 5% […], l’Australie est à part. Au point que les immigrants s’y pressent pour goûter les fruits du boom économique : des Asiatiques venus de Corée du Sud ou de Chine, mais aussi beaucoup d’Européens, dont énormément d’Irlandais et de Britanniques. Quant aux Français, ils sont eux aussi de plus en plus nombreux à tenter leur chance . Au printemps, lors des élections présidentielles et législatives, il y avait ainsi huit bureaux de vote à travers le pays pour les Français expatriés, contre deux, dix ans auparavant. Après avoir décroché un master d’administration des entreprises en 2006 à Paris, (Aurélien LABONNE) s’engage dans un master en multimédia, au terme duquel il effectue un stage en entreprise. « Je savais qu’il n’y aurait pas d’offre d’emploi à la sortie de mon stage,c’est pourquoi j’ai décidé d’aller à l’étranger ». […]
Il n’a fallu qu’un mois et demi à Aurélien LABONNE pour se faire embaucher comme responsable du site Web d’une petite entreprise avec, à la clé, un visa sponsorisé, sésame pour pouvoir rester en Australie plus d’un an […]. Le jeune parisien a ensuite décidé de changer d’entreprise. Il travaille désormais dans une start-up, et ne regrette pas son choix : « je suis dans une jeune société, qui a démarré il y a tout juste huit mois. En France, je n’aurais pas osé, je me serais demandé si l’entreprise avait les reins solides » […]. Quant à son salaire, il a doublé entre Paris et Sydney. « Je gagnais 39 000 euros par an dans la banque où j’ai travaillé, alors qu’actuellement c’est 82 000 dollars [67 000 euros], ce qui reste un niveau de salaire moyen ».[…]
Avec son amie, une expatriée française qu’il a rencontrée à Sydney, Aurélien LABONNE a commencé à visiter des maisons à vendre pour investir dans l’immobilier. Le reste du temps, il profite de la vie à l’australienne, du soleil, de la plage, et d’un quotidien qu’il estime plus doux qu’en France. « Ici, c’est la belle vie. Le cadre est exceptionnel. Les gens sont gentils et beaucoup moins agressifs qu’à Paris, quant aux opportunités de travail, elles sont beaucoup plus nombreuses ». »

 

Marie-Morgane LE MOËL, « Les expatriés de la crise de l’euro », Le Monde, 26 juillet 2012

Londres, les métamorphoses d’une capitale (Le Monde, 2012)

« En 2012, Londres est à l’affiche partout, grâce au jubilé de diamant de la reine ELIZABETH II (du 3 au 5 juin) et à l’organisation des Jeux olympiques (du 27 juillet au 12 août). Dans ces circonstances, l’élection, le 3 mai, du maire de cette métropole de 7,8 millions d’habitants prend un relief particulier. […]
Quels sont les rapports de forces politiques dans la capitale ? Londres est traditionnellement une ville de gauche de par la forte présence d’une population de condition modeste qu’atteste un taux de chômage (9 %) supérieur à la moyenne nationale, surtout parmi les jeunes des quartiers déshérités. Ce bastion du Labour constitue une exception dans le sud-est prospère de l’Angleterre, contrôlé par les conservateurs. […] Aujourd’hui, la droite est favorisée par l’irrésistible poussée d’une nouvelle élite sociale qui envahit le West End (centre), rejetant les perdants aux confins, voire en dehors de la capitale à coups de spéculation immobilière. Le coût de la vie élevé, le manque de HLM et l’essor des services au détriment de la petite industrie renforcent cette tendance.
Quel rôle joue la City ? […] Fondée en 1067, elle constitue un contre-pouvoir de poids au maire. Avec un million d’emplois directs et indirects, la finance est l’un des plus gros employeurs de la capitale britannique. Ce secteur phare fait tourner toute une série d’industries (commerce de luxe, immobilier, bâtiment, etc.). Cette enclave d’un peu moins de 300 hectares, qui abrite la plus forte densité planétaire de banques, possède un vaste patrimoine, un large parc immobilier, plusieurs ponts sur la Tamise, le complexe culturel Barbican Centre, l’école de commerce Cass Business School et la colline boisée d’Hampstead. […] L’une des principales attributions du maire de Londres consiste à défendre la première place financière mondiale contre les projets de régulation du G20 et de Bruxelles ou contre la rivalité des centres concurrents, en particulier New York. […]
Quel est l’impact des Jeux olympiques sur la ville ? Il y a sept ans, à Singapour, Londres a obtenu les Jeux olympiques de 2012 grâce à son projet de rénovation de l’Est, en particulier autour de l’ancienne zone industrielle de Stratford. La majorité des 100 000 contrats d’embauche pour ces Jeux ont été attribués aux habitants des cinq boroughs concernés, parmi les plus pauvres du royaume.
L’organisation des JO a accentué le rééquilibrage du centre de gravité de la capitale de l’Ouest élégant vers l’Est crasseux. Cette image ancestrale est en train de changer. Dans les années 1980-1990, l’expansion de l’aéroport d’Heathrow et de l’autoroute du Sud-Ouest (M4), l’explosion des services financiers ainsi que l’excellence de la ligne de métro Central Line, qui relie les quartiers chics à la City, avaient favorisé l’Ouest. A la même époque, l’hémorragie de la classe moyenne de l’Est vers les faubourgs du Nord, l’installation d’immigrés du tiers-monde démunis et la disparition des industries traditionnelles avaient accentué le déclin d’un secteur associé aux ghettos, à la pauvreté, à la violence.

Cette division s’est atténuée. La rénovation des anciens docks, l’allongement de la ligne de métro Jubilee jusqu’à la nouvelle cité financière de Canary Wharf, la construction du futur réseau régional express (Crossrail) tout comme le nouveau terminal Eurostar de Saint Pancras illustrent l’essor nouveau de cette zone. L’éclosion des quartiers branchés de Shoreditch et de Dalston, ainsi que le succès du « Silicon Roundabout », consacré à la haute technologie et aux industries de demain, donnent le la de la diversité ethnique et de la mixité sociale.

Grâce aux JO, l’East End se construit, se rénove et se régénère. Et le projet de développement du corridor de la Tamise sur une cinquantaine de kilomètres, entre Londres et l’estuaire du fleuve, devrait créer une tête de pont vers l’Europe. »

 

Marc ROCHE, « Londres : les métamorphoses d’une capitale », Le Monde, 21 avril 2012

L’Ethiopie, nouvelle usine du monde ? (Le Monde, 2017)

« Peter WAN a le sourire jusqu’aux oreilles. Le quinquagénaire avance gaiement dans de grands hangars, où des dizaines d’ouvriers éthiopiens s’affairent près de machines à filer et à colorer du fil. « Nous en sommes au stade des essais de production », précise le consultant, en faisant visiter l’usine chinoise JP Textile, à l’entrée du parc industriel d’Hawassa, à 270 km au sud de la capitale éthiopienne, Addis-Abeba.

Bientôt, la main-d’œuvre transformera le fil « importé de Chine » en tissu, explique M. WAN. Puis le tissu prendra la forme de chemises made in Ethiopia, qui porteront les marques Calvin Klein ou Tommy Hilfiger, pour être exportées vers l’Europe et les États-Unis à l’attention d’une clientèle aisée. Mais s’il est officiellement opérationnel, ce parc, construit par les Chinois en neuf mois seulement, n’a pas encore commencé à exporter.

Ce projet de 220 millions d’euros est une nouvelle preuve de l’industrialisation accélérée de l’Éthiopie. La Chine, son premier partenaire commercial, est la locomotive de ce processus : construction, transports, télécommunications, Pékin investit tous azimuts dans ce grand pays de la Corne de l’Afrique, le deuxième le plus peuplé du continent, avec près de 100 millions d’habitants. La Chine a construit la nouvelle voie ferrée entre Addis-Abeba et Djibouti, qui entrera en service en octobre.

Privée d’accès à la mer depuis l’indépendance de son voisin érythréen, en 1993, l’Éthiopie a besoin de Djibouti, petit État où transitent 95 % de ses exportations. Pékin mise aussi sur ce débouché maritime incontournable, au carrefour entre l’Afrique de l’Est, l’Asie, l’Europe et la péninsule Arabique, dans le cadre de son projet des « nouvelles routes de la soie ». […]

Pays majoritairement agricole, l’Ethiopie a décidé de devenir le « hub » industriel de l’Afrique. […] Pour l’instant, le secteur manufacturier ne représente que 5 % du PIB. Il faut donc aller vite. […]

Le président de JP Textile sait de quoi il parle […] « L’Ethiopie a deux avantages », détaille-t-il. D’une part, une énergie abondante et à bas coût, issue des projets hydroélectriques du pays. D’autre part, la possibilité de jouir d’exempltions fiscales, notamment grâce à l’African Growth and Opportunity Act.

Non sans ironie, cette loi américaine permet à certains pays africains, dont l’Ethiopie, d’être dispensés de droits de douane sur un ensemble de marchandises exportées outre-Atlantique afin de favoriser leur développement économique. « Tout le monde sait que les Etats-Unis sont le plus gros importateur de textile à travers le monde », se réjouit M. WANG. […]

Autre atout de taille : une main d’oeuvre jeune, abondante et bon marché. « Le coût du travail est le plus bas au monde », s’enthousiasme M. WANG. Comme la Chine d’il y a trente ans. Mais aujourd’hui, chez le géant asiatique, le salaire moyen est désormais de plus de 700 euros, trop pour demeurer l’usine du monde. L’avenir de la Chine passe donc par l’Ethiopie, où n’existe pas de salaire minimum. Chez JP Textile, par exemple, la plupart des ouvriers sont rémunérés moins de 30 euros par mois. […]

Enfin, malgré des atouts alléchants, l’environnement des affaires est complexe en Éthiopie et les coûts de transport élevés. »

 

Emeline WUILBERCQ, « L’Ethiopie, nouvelle usine du monde », Le Monde, 11 août 2017

Les mutations de la Chine dans les années 1980 analysées par deux journalistes français

« Aujourd’hui la Chine, après être passée de l’alliance de droit avec l’URSS contre les États-Unis à une alliance de fait avec les États-Unis contre l’URSS, a détendu ses relations avec celle-ci, sans compromettre vraiment celles qu’elle entretient avec l’Amérique. […]
D’une manière générale, la Chine donne de toute évidence la priorité à son renforcement interne et ne se pose plus, comme pendant les années 60, en Mecque du véritable communisme et en inspiratrice de nombreux mouvements révolutionnaires du tiers monde. Cette attitude n’est pas incompatible, bien au contraire, avec une certaine ouverture, notamment commerciale, indispensable en
tout état de cause à la modernisation économique et sociale du pays. […]
Régnant sur l’État le plus peuplé du globe, et de beaucoup, les successeurs des Ming et de MAO se doivent certes, d’abord, d’assumer la cohésion interne de leur pays. L’ouverture ne peut être, dans ces conditions, que lente. Mais il suffirait qu’elle s’amorce pour de bon pour avoir une portée considérable.
C’est dans ce contexte que l’accélération des échanges, après la mort de MAO Zedong, en 1976, doit retenir l’attention. Même si la part de la Chine dans le commerce mondial demeure infime, le fait est qu’elle a progressé de 20% par an entre 1978 et 1981. »

 

André FONTAINE et Pierre LI, Sortir de l’hexagonie, Paris, 1984

Les transformations de la puissance américaine dans l’après-guerre froide (1991)

« Les Américains ont élu George BUSH pour qu’il ne change rien à rien. Ils voulaient un leader prudent, fidèle au statu quo qui empêche les États-Unis de continuer à perdre de leur influence dans le monde. Quand il a commencé son mandat, on ne parlait que du « déclin » de l’Amérique sous un président « mollasson » qui rechercherait le compromis dans le moindre conflit. L’histoire en a décidé autrement.
L’effondrement de l’Union soviétique a fait des États-Unis la seule superpuissance mondiale. Saddam HUSSEIN a commis l’erreur de choisir le moment où Washington était libéré du risque de confrontation nucléaire avec Moscou pour envahir et annexer le Koweït, puis pour défier George BUSH. A l’heure où j’écris, les soldats irakiens au Koweït paient cher ce mauvais calcul, BUSH, ce guerrier imprévu, cet habile diplomate, s’est fixé un objectif encore plus ambitieux que de mener une coalition de 28 nations vers la libération de l’émirat. Il a promis à ses compatriotes et à ses partenaires que la victoire serait le premier pas, fondamental, vers l’instauration d’un « nouvel ordre mondial ». […]
Le débat sur l’éventualité de la guerre dans le Golfe a révélé que la blessure du Vietnam, quinze ans après la chute de Saigon, était toujours très profonde. Les peurs, la culpabilité et l’antimilitarisme que le Vietnam a imprimés à la société américaine ont même amené certains à se demander avec sérieux – parfois avec angoisse – si la seule superpuissance du monde et ses principaux alliés, combattant ensemble avec le soutien de l’ONU, pouvaient l’emporter sur un pays arabe de… 8 millions d’habitants. Les batteries de missiles antimissiles Patriot, les bombes à guidage laser et les missiles de croisière lancés des navires ont rappelé au monde (et aux Américains) que la technologie des États-Unis était bel et bien encore là. Les Américains jubilaient devant la « précision chirurgicale » de leur missile de croisière […].
Si les Américains ont soutenu la guerre de BUSH contre Saddam, ce n’est pas parce qu’ils tenaient à fonder un nouvel ordre mondial dans lequel ils monteraient la garde partout, contre tous les dictateurs qui feraient subir des horreurs à de pauvres innocents. S’ils l’ont soutenue, c’est justement pour le contraire. Pour adresser un message à ceux qui seraient tentés d’imiter le raïs [titre donné à certains chefs politiques dans le monde arabe] de Bagdad et les dissuader d’envahir leurs voisins.
En comparant Saddam à HITLER, BUSH a voulu dire que le leader irakien représentait une forme de mal exceptionnellement virulente et agressive, qu’il fallait contenir à l’intérieur de ses frontières nationales ou détruire. La grande leçon de l’opération Tempête du désert – et c’est le sens du futur nouvel ordre mondial – c’est que les membres de la communauté internationale, dorénavant, agiront contre des dirigeants si violents plus vite qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici, et de concert. Cela signifie également que l’on doit parvenir à des arrangements de sécurité collective à l’échelle du monde, et non plus à celle des blocs, et à une redéfinition du contrôle des armements qui limite strictement les transferts de technologies dangereuses au Tiers-monde. […] »

 

Article du journaliste américain Jim HOAGLAND du 28 février 1991 cité dans « Les Etats-Unis : la puissance et le doute », Les Cahiers de l’Express, juillet 1992.

Un exemple de tensions en mer de Chine du Sud

« La mer de Chine du Sud a été de nouveau le théâtre d’affrontements entre pêcheurs philippins et garde-côtes chinois. Ces derniers surveillent l’espace que Pékin revendique comme étant sa propriété et repoussent fermement toute embarcation qui s’aventure dans ces eaux. Un bateau de pêcheurs philippins vient d’en faire de nouveau l’expérience. Bien que se considérant dans les eaux philippines, il raconte avoir été prié de quitter, sur le champ, cette zone poissonneuse. Craignant le recours aux canons à eau, très puissants, l’embarcation philippine a préféré rebrousser chemin et éviter tout risque d’affrontement direct, voire de collision, le rapport de forces étant clairement en faveur du navire chinois.

Manille attend d’un jour à l’autre une décision de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye qui doit statuer sur la légitimité qu’ont, chacun de ces deux États, à revendiquer des droits dans cette zone. Manille demande à la CPA de dire que les revendications chinoises violent la Convention de l’ONU sur le droit à la mer, dont les deux pays sont signataires. Les Philippines vont d’ailleurs faire valoir que la Chine n’a aucun « droit historique » sur cette mer sur laquelle transite une grande partie du trafic maritime international. Au passage, Manille en profite pour dénoncer les ravages irréversibles causés à l’environnement par Pékin en rasant des récifs coraliens pour les transformer en îlots dotés de piste d’envol, de port en eau profonde et de station radar.

Quelle que soit la décision du tribunal, Pékin a déjà fait savoir qu’elle ne la respectera pas, jugeant cette cour non compétente. Et comme pour mieux défier les uns et les autres, les autorités chinoises ont décidé d’organiser, à partir de 2020, des croisières réservées à des citoyens chinois autour de l’archipel des Spratleys, l’un des points les plus disputés. Outre les Philippines, le Vietnam, la Malaisie, Taïwan et le sultanat de Brunei revendiquent aussi une partie de ce territoire. La situation est complexe, car la Chine pratique la politique du fait accompli. Les États-Unis, qui sont liés par des accords de sûreté avec la plupart des pays concernés, envoient des avertissements à Pékin et croisent à proximité des rochers disputés. Les Occidentaux observent une neutralité de bon aloi, estimant qu’une fois le droit de navigation préservé, peu importe finalement de savoir à qui appartient tel ou tel rocher.

Les opposants à l’expansionnisme chinois craignent que la Chine n’utilise ses îles artificielles à des fins militaires et n’obtienne, de facto, le contrôle de la mer et des airs d’une région qui, de plus, recèlerait d’importants gisements d’hydrocarbures. »

 

Michel DE GRANDI, « En mer de Chine du Sud, les tensions restent fortes », Les Echos, 23 juin 2016

L’aubaine des nouveaux aménagements du canal de Suez (Les Echos, 2015)

« Les armateurs de la marine marchande sablent le champagne. L’Egypte inaugure ce jeudi un nouveau canal de Suez, supprimant un inconvénient majeur du canal historique, une largeur devenue insuffisante du fait de la course au gigantisme des porte-conteneurs. Les bateaux naviguant vers le sud et ceux en direction du nord devaient attendre que la voie soit libre pour s’engager.

L’Egypte a pris le taureau par les cornes, en entreprenant il y a onze mois de cela un chantier pharaonique. Des travaux en accéléré dans la compétition que se livrent Suez et le canal de Panama pour faire passer dans leurs eaux les géants de la mer. Selon l’armateur marseillais CMA CGM, numéro trois mondial du transport maritime, le canal de Suez voit passer environ 18 000 navires chaque année, contre 11 000 pour Panama. Pour l’Egypte, il s’agissait non seulement de prendre en compte le développement du trafic Asie-Europe, mais aussi donc de conserver ses parts de marché, sur les trajets Asie-côte est de l’Amérique. […]

Le trafic va s’accélérer, du fait notamment d’un temps de transit mécaniquement réduit de sept heures – passant de 18 à 11 heures – avec les nouvelles installations. D’ici à 2023, quelque 97 navires pourront emprunter le canal quotidiennement, contre 49 actuellement, affirme l’Autorité du canal de Suez.

Le canal de Suez est un passage stratégique pour les transporteurs maritimes. Il draine près de 8 % du trafic mondial et permet aux navires d’économiser de précieuses heures de transport vers l’Europe, comparativement à un trajet contournant le continent africain. Impossible pour un navire de s’affranchir de ce canal sans naviguer de nombreux jours supplémentaires. D’après CMA CGM, une traversée entre Rotterdam et Singapour dure 9 jours de moins en passant par le canal de Suez qu’en naviguant au large du cap de Bonne Espérance, en Afrique du Sud.

Pour le groupe de transport maritime […], le canal de Suez est « le plus important en termes de trafic » et s’avère « une route stratégique et incontournable du fait de sa situation géographique, à la croisée des lignes desservant les grands marchés mondiaux ». Il a ainsi une longueur d’avance sur le canal de Panama, presque deux fois moins utilisé par l’armateur français.

Néanmoins, les transporteurs pourraient déchanter en constatant une possible augmentation des tarifs de passage sur le canal de Suez. En situation de monopole sur le trajet Asie-Europe, l’Egypte pourrait être tentée de répercuter le coût des travaux sur ses tarifs. Cependant, selon un expert, une hausse des tarifs ne serait pas d’actualité. »

Les Echos, 6 août 2015

Le rapprochement sino-américain analysé par un journaliste français (1971)

« L’annonce d’une prochaine visite du président NIXON à Pékin a étonné le monde et fait l’objet d’innombrables commentaires. Comment la Chine qui ne cesse de dénoncer la politique d’agression des États-Unis a-t-elle pu accepter le principe de cette rencontre ? Quelles raisons ont pu pousser le gouvernement de Washington à faire ce geste […] ?
Certes, les facteurs qui ont dû pousser les États-Unis dans le sens de cette détente sont nombreux. […] Parmi ceux qui peuvent être considérés comme prépondérants probablement faut-il retenir dans l’ordre, l’espoir de faciliter le règlement du conflit vietnamien, la perspective de l’élection présidentielle de 1972, la question de l’entrée de la Chine à l’ONU et la volonté de faire pression sur l’URSS. Les raisons qui ont pu amener la Chine populaire à accepter le dialogue sont tout aussi importantes.
La première, qui est d’ordre très général, tient évidemment à la crainte qu’éprouve le gouvernement de Pékin de voir ceux de Washington et Moscou s’entendre contre lui sur un certain nombre de points. Quelle que soit l’idée que l’on se fasse de l’avenir de la détente sino-américaine, on ne peut nier la réalité actuelle et le danger qu’elle fait courir au gouvernement de Pékin. La Chine est un pays pauvre et le restera probablement encore pour un certain temps. C’est dire que sa puissance, pour de nombreuses années encore, ne pourra être fondée sur sa capacité industrielle mais sur son dynamisme politique et son habileté diplomatique. Le seul moyen dont dispose le gouvernement chinois pour s’affirmer sur la scène internationale, c’est de faire échec à tout rapprochement entre les deux super-puissances. »

 

Extrait de l’article de François JOYAUX, publié dans le Monde diplomatique en septembre 1971 et cité dans « Confucius, Mao, le marché… jusqu’où ira la Chine ? », Manière de voir 85, février-mars 2006.

La Chine fragilise l’économie japonaise (2012)

« Après la tempête diplomatique autour des îlots Diaoyu/Senkaku, revendiqués à la fois par la Chine et le Japon, les constructeurs nippons évaluent leurs pertes sur le premier marché mondial.

Parmi les trois grands japonais présents en Chine, le grand perdant s’appelle Nissan. Mardi 6 novembre, l’allié de Renault a dévoilé des résultats décevants, en retrait de 2,8% au premier semestre. […]

La montée du sentiment anti-japonais, depuis la fin de l’été, auprès des consommateurs chinois a toutefois eu raison de l’objectif de production de 10 millions de véhicules en 2012 que s’était assigné le groupe en début d’année. […]

Depuis septembre, rien ne va plus en Chine pour les constructeurs japonais. Les ventes de Toyota ont baissé de 48,9 % en septembre, celles de Honda de 40,5 %, et celles de Nissan de 35,3 %. […]

Au cours de l’été, les photos de voitures de marques japonaises retournées et parfois en flammes firent le tour de Weibo, le Twitter chinois, nourrissant la colère mais suscitant également un débat puisque les véhicules en question sont produits localement par des ouvriers chinois.

Le mois dernier, le richissime homme d’affaires CHEN Guangbiao a tranché en acquérant 43 autos de la marque Geely* afin de les offrir aux Chinois dont le véhicule avait été endommagé, « pour preuve de leur patriotisme ». Entouré de drapeaux de la République populaire, il s’était vanté lors d’une cérémonie d’avoir dépensé 5 millions de yuans (près de 627 000 euros) dans l’opération.

Dans ce contexte, les constructeurs japonais ont dû ralentir les cadences de leurs chaînes de production. Nissan a fermé ses usines pendant les congés entourant la fête nationale chinoise du 1er octobre, et la production n’a repris que le 8 octobre à un rythme limité. Toyota, qui possède neuf sites en Chine, avait réduit de moitié sa production début octobre avant de passer à 30 % de baisse par rapport à son rythme normal plus tard dans le mois.

Aux différends diplomatiques se superposent les erreurs stratégiques des constructeurs nippons en Chine. Alors que Volkswagen ou General Motors ne cessent de présenter des modèles spécifiquement conçus pour les conducteurs chinois, les Japonais proposent aux consommateurs locaux des véhicules pensés… pour les Américains ou les Européens. »

* Geely : constructeur automobile chinois.

 

Philippe JACQUE et Harold THIBAULT, « La Chine fragilise l’automobile japonaise »,  Le Monde, 6 novembre 2012.

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